Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/331

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ce contre-temps charma Édouard, car le billet d’Ottilie avait ranimé toutes ses espérances ; se sentant de nouveau la force de persévérer et d’attendre, il déclara positivement que, sous aucun prétexte, il ne consentirait à s’éloigner du château.

— Il n’y a rien de plus extravagant, s’écria-t-il, qu’une renonciation volontaire et anticipée ; quand un bien précieux est sur le point de nous échapper, ne vaut-il pas mieux chercher à le ressaisir ? Une pareille folie ne peut découler que de la sotte prétention de conserver du moins les apparences de la liberté du choix. Trop de fois déjà je me suis laissé égarer par cette vanité insensée. Elle m’a fait fuir des amis qui m’étaient chers et dont je ne m’éloignais que parce que je savais que tôt ou tard je serais contraint de me séparer d’eux, et que je ne voulais pas avoir l’air de céder à la nécessité. Pourquoi m’éloignerais-je d’elle ? Ne sommes-nous pas déjà que trop séparés ? Je n’ose plus ni presser sa main ni l’attirer sur mon cœur, je ne puis pas même le penser sans tressaillir ! Elle ne s’est pas détournée de moi, non, elle s’est élevée au-dessus de moi !

Ce fut ainsi que tout resta sur l’ancien pied. Rien n’égalait le bonheur d’Édouard lorsqu’il se trouvait près d’Ottilie, et la jeune fille aussi éprouvait une douce sensation qu’elle ne pouvait chercher à éviter, puisqu’elle lui devenait toujours plus indispensable. Le magnétisme mystérieux qu’ils avaient toujours exercé l’un sur l’autre, n’avait rien perdu de sa puissance. Quoiqu’habitant sous le même toit, ils ne pensaient pas toujours exclusivement l’un à l’autre, s’occupaient souvent d’objets différents et suivaient les impulsions opposées de leur entourage, et cependant ils se trouvaient