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quand on s’est formée soi-même à l’école de l’adversité et de l’erreur. L’histoire nous apprend que les hommes poussés dans les déserts par le remords ou la persécution, n’y sont pas restés oisifs et ignorés. On les a rappelés dans le monde pour y soutenir les faibles, ramener les égarés, consoler les malheureux ! Et cette tâche, le Ciel lui-même la leur imposait ; car ils pouvaient seuls l’accomplir dignement, ces nobles initiés aux fautes, aux faiblesses dont ils avaient su se relever, ces martyrs de la vie, malheureux au point qu’aucun malheur terrestre ne pouvait plus les frapper.

— La carrière que tu choisis est pénible ! n’importe ; je ne m’opposerai point à ton désir, me flattant toutefois que tu ne tarderas pas à y renoncer pour revenir près de moi.

— Je vous remercie d’un consentement qui me permet d’essayer mes forces ; j’en espère trop peut-être, car il me semble que je réussirai. Qu’est-ce que les épreuves du pensionnat que naguère je trouvais si cruelles, auprès de celles que j’ai subies depuis ? Quel ne sera pas mon bonheur, lorsque je pourrai diriger de jeunes élèves à travers cette foule d’embarras qui causent leurs premières douleurs et dont j’ai déjà acquis le droit de sourire ? Les heureux ne savent pas conseiller et guider les heureux, car il est dans notre nature d’augmenter nos exigences pour nous et pour les autres, en proportion des faveurs que le Ciel nous accorde. Celui qui a souffert et qui a su se relever, sait seul développer dans de jeunes cœurs le sentiment qui empêche le sien de se briser, en lui faisant accepter le plus petit bienfait comme un grand bonheur.

— Je te le répète, chère enfant, je ne m’oppose point à ton projet ; mais je dois te faire une observa