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veut du moins avoir près d’elle ses restes inanimés, et l’on dépose sur le canapé un panier où repose ce petit corps glacé, enveloppé dans des mouchoirs de laine chauds et blancs ; son visage seul est découvert ; il semble dormir.

Le bruit de cette catastrophe ne tarda pas à mettre tout le village en émoi. Dès qu’il arriva au Major, il quitta l’auberge et se rendit à la maison d’été. N’osant y entrer, il interrogea les domestiques qui couvaient çà et là, et finit par dire à l’un d’eux de faire descendre le chirurgien. Celui-ci ne se fit pas long-temps attendre ; quelle ne fut pas sa surprise, en reconnaissant son ancien protecteur ! Sa présence dans un pareil moment lui parut de bonne augure ; aussi se chargea-t-il avec plaisir de préparer Charlotte à le recevoir. Voulant s’acquitter de cette tâche délicate avec toute la prudence nécessaire, il commença par lui parler de plusieurs personnes absentes qui ne pouvaient manquer de partager sa juste douleur. Ce genre de conversation l’amena naturellement à prononcer le nom du Major ; et il l’imposa pour ainsi dire à la pensée de la malheureuse mère, en lui rappelant le dévouement sans bornes dont cet ami sincère lui avait déjà donné tant de preuves. Passant du récit à la réalité, il lui apprit qu’il était là, à sa porte, et n’attendait qu’un mot pour paraître.

Au même instant le Major entra, Charlotte l’accueillit avec un sourire douloureux. Il s’avança doucement et s’arrêta en face d’elle. Elle releva la couverture de soie verte qui couvrait le cadavre de l’enfant, et, à la faible lueur d’une seule bougie, le Major reconnut avec une secrète terreur, dans les traits de cet enfant, sa propre image immobilisée par la mort. D’un geste, Charlotte