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les faire contribuer à notre satisfaction. Détourne tes regards du riant avenir qu’il nous serait si facile de nous préparer, impose-nous à tous une abnégation complète, terrible, et dont je veux bien, pour un instant, admettre la possibilité ; mais lors même que nous aurions pris la résolution de rentrer dans une ancienne position qu’on a violemment quittée, est-il facile, est-il possible de la réaliser ? Et quel avantage y trouverait-on en échange des mille et mille inconvénients, des tourments réels qu’on y rapporte malgré soi ? Commençons par toi, et conviens que la fortune t’aurait souri en vain en te donnant un poste brillant, puisque tu ne pourrais jamais passer une seule journée sous mon toit. Et Charlotte et moi quel prix pourrions-nous attacher à nos richesses après le sacrifice que nous nous serions fait mutuellement ? Si tu partages l’opinion des gens du monde, si tu crois que l’âge finit par amortir les passions les plus violentes et les plus nobles, par effacer les sentiments le plus profondément gravés dans notre âme, n’oublie pas ; du moins, que la lutte contre ces passions, contre ces sentiments, empoisonne précisément cette époque de la vie que l’on ne voudrait pas passer dans l’abnégation et la souffrance, mais dans la joie et dans le bonheur ; de cette époque de la vie enfin, à laquelle on attache d’autant plus de prix, que l’on commence déjà à s’apercevoir qu’elle n’est point éternelle.

Laisse-moi maintenant parler du point le plus important. Lors même que nous pourrions nous résigner tous à souffrir sans aucun espoir de compensation, que deviendrait Ottilie ? car je serais forcé de la bannir de ma maison et de souffrir qu’elle vive au milieu de ce monde maudit qui ne sent, qui ne comprend, qui