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gouvernail que le jeune homme lui abandonna pour se dépouiller de ses vêtements, et se précipiter dans le fleuve afin de sauver sa belle ennemie.

Dans les moments critiques, le changement de la main qui gouverne amène toujours une catastrophe funeste, et le bateau, malgré l’expérience et l’habileté du patron, échoua sur le sable.

Pour le nageur habile, l’eau est un élément ami ; elle porta docilement l’officier qui rejoignit bientôt la jeune fille ; il la saisit et la soutint avec tant de force, qu’elle semblait nager à ses côtés : c’était l’unique secours qu’il pût lui donner pour l’instant, car le courant était si fort, que toute tentative pour gagner le rivage les eût rendus la proie des flots. Au bout de quelques instants il avait laissé derrière lui le yacht échoué, le détroit et les îles ; le fleuve était redevenu calme, car il coulait de nouveau dans un vaste lit ; le danger le plus grand était passé, et le jeune homme, qui n’avait agi jusque là qu’instinctivement, retrouva enfin la force de calculer ses actions. Ses yeux cherchèrent et découvrirent bientôt le point du rivage le moins éloigné. Redoublant d’efforts il se dirigea vers ce point qui était garni d’arbres et qui s’avançait dans le fleuve. Il l’atteignit facilement et y déposa la jeune fille. Ce fut alors seulement qu’il s’aperçut qu’elle ne donnait aucun signe de vie. Regardant autour de lui avec désespoir, comme s’il demandait des secours au hasard, il vit un sentier battu qui conduisait à travers le bois. L’espoir de trouver un lieu habité ranima son courage.

Chargé du doux fardeau qu’il cherchait à disputer à la mort, il s’avança à grands pas sur ce sentier qui ne tarda pas à le conduire à la demeure solitaire d