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Le jeune officier, dont le premier besoin était de s’occuper utilement, resta sur le pont. S’apercevant que le patron, accablé par la fatigue et par la chaleur, était sur le point de céder au sommeil, il prit le gouvernail à sa place. Sa tâche était d’abord facile et douce, car le yacht suivait seul le cours de l’eau ; mais bientôt il s’approcha d’une place où le fleuve se trouvait resserré entre deux îles qui étendaient sous les flots leurs rivages plats et sablonneux, ce qui rendait ce passage fort dangereux. L’officier ne manquait pas d’habileté, et cependant il se demandait, tout en se dirigeant vers le détroit, s’il ne serait pas plus prudent de réveiller le patron. En ce moment sa belle ennemie parut sur le pont, arracha la couronne de fleurs dont on venait d’orner ses cheveux, et la lui jeta en s’écriant d’une voix altérée :

— Reçois ce souvenir !

— Ne me distrais pas, répondit le jeune homme en saisissant la couronne au vol, j’ai en ce moment besoin de toutes mes forces, de toute ma présence d’esprit.

— Je ne te distrairai pas longtemps ! tu ne me reverras plus jamais !

A peine avait-elle prononcé ces mots, qu’elle se précipita dans le fleuve.

— Au secours ! au secours ! elle se noie, s’écrièrent plusieurs voix confuses.

On courut çà et là, le tumulte était au comble. L’officier ne pouvait quitter le gouvernail sans exposer la vie de tous ceux qui se trouvaient sur le yacht, et s’il continuait à le diriger, la jeune fille était perdue ; car, au lieu de la secourir, on se bornait à crier. Ces cris venaient de réveiller le patron ; il saisit le