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la vie, ses yeux et sa pensée suivaient chaque développement de la physionomie expressive de cet enfant. Sa naissance l’avait rattachée au monde et à ses divers rapports, et réveillé son ancienne activité ; tout ce qu’elle avait fait, créé, établi pendant l’année écoulée lui revenait à la mémoire et lui causait un plaisir nouveau, puisque tout cela devait profiter à son fils.

Dominée par ce sentiment de mère, elle se rendit un jour dans la cabane de mousse avec Ottilie et l’enfant qu’elle fit déposer sur la petite table comme sur un autel domestique. En voyant auprès de cette table deux places vides, occupées naguère par Édouard et par le Capitaine, le passé se présenta vivement devant elle, et fit germer dans sa pensée un nouvel espoir pour elle et pour Ottilie.

Les jeunes filles examinent probablement, dans leur silence pudique, les jeunes hommes de leur société habituelle, en se demandant à elles-mêmes lequel elles désireraient pour époux. Mais la femme chargée de l’avenir d’une fille ou d’une jeune parente étend ses recherches sur un cercle plus vaste ; Charlotte se trouvait dans ce cas : aussi son imagination lui représenta-t-elle le Capitaine qui, quelques mois plus tôt, avait occupé un des sièges restés vides dans la cabane, et elle crut voir en lui le futur mari d’Ottilie ; car elle savait qu’il n’y avait plus aucun espoir de conclure le brillant mariage que le Comte avait projeté pour lui.

La jeune fille prit l’enfant dans ses bras et suivit Charlotte qui venait de sortir brusquement de la cabane pour continuer sa promenade, pendant laquelle elle s’abandonna à une foule de réflexions.

— La terre ferme a aussi ses naufrages, se dit-elle à