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s’accoutumer à un costume commun à tous. Cela leur apprendrait à agir ensemble, à se perdre au milieu de leurs pareils, à obéir en masse, et à travailler pour le bien général. L’uniforme a, en outre, l’avantage de développer l’esprit militaire et de donner à nos allures quelque chose de décidé et de martial, analogue à notre caractère, car chaque petit garçon est né soldat. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner les jeux de notre enfance, qui, tous, se renferment dans le domaine des sièges et des batailles.

— J’espère que vous me pardonnerez, dit Ottilie, de ne pas avoir soumis mes petites élèves à l’uniformité du costume. Je vous les présenterai un de ces jours, et vous verrez que la bigarrure aussi peut avoir son charme.

— J’approuve très-fort la liberté que vous leur avez laissée à ce sujet : la femme doit toujours s’habiller à son gré, non-seulement parce qu’elle seule sait ce qui lui sied et lui convient le mieux, mais parce qu’elle est destinée à agir seule et par elle-même.

— Cette opinion me paraît paradoxale, observa Charlotte, car nous ne vivons jamais pour nous…

— Toujours, au contraire, interrompit le Professeur ; je dois ajouter cependant que ce n’est que par rapport aux autres femmes. Examinez l’amante, la fiancée, l’épouse, la ménagère, la mère de famille ; toujours et partout elle est et veut rester seule ; la femme du monde elle-même éprouve ce besoin que toutes tiennent de la nature. Oui, chaque femme doit nécessairement éviter le contact d’une autre femme, car chacune d’elles remplit à elle seule les devoirs que la nature a imposés à l’ensemble de leur sexe. Il n’en est pas ainsi de l’homme, il a besoin d’un autre homme, et s’il n’existait