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sujets d’espérance heureuse, dans le caractère de ses enfants, que les étranges ne jugent favorablement que lorsqu’ils en tirent quelques avantages, ou que, du moins, ils n’en éprouvent aucune contrariété.

L’orgueil maternel de Charlotte ne tarda cependant pas être vivement blessé par un incident fâcheux dont sa fille était la cause. Ce malheur n’était pas le résultat de ses bizarreries que l’on avait réellement le droit de blâmer, mais d’un trait caractéristique, que tout le monde aimait et approuvait en elle. Luciane ne se bornait pas à rire avec les heureux, elle aimait à s’affliger avec les malheureux ; elle poussait même l’esprit d’opposition jusqu’à faire tous ses efforts pour attrister les premiers et pour égayer les derniers. Dès qu’on l’accueillait intimement dans une famille dont un ou plusieurs membres se trouvaient par leur grand âge ou par leur mauvaise santé forcés de garder leur chambre, elle affectait pour eux une tendre sollicitude ; les visitait dans leurs réduits solitaires, et, vantant ses hautes connaissances en médecine, elle les forçait, pour ainsi dire, à prendre quelques-unes des drogues dont se composait la pharmacie de voyage qu’elle portait partout avec elle. Il est facile de deviner que ces sortes de remèdes, distribués au hasard, augmentaient plutôt les maux qu’ils ne les soulageaient.

Les sages représentations par lesquelles on cherchait à la détourner de ce genre de bienfaisance, ne produisaient aucun résultat ; car c’était précisément sous ce rapport qu’elle se croyait non-seulement à l’abri de tout reproche, mais encore digne de l’admiration générale. Convaincue de la puissance salutaire de ses drogues contre les infirmités du corps, elle avait étendu ses essais curatifs jusque sur le domaine de l’intelligence.