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s dessins et sa collection d’objets d’antiquité, il consentit même à lui faire voir les travaux qu’il avait exécutés dans les domaines du Baron, ainsi que les restaurations et les peintures de l’église et de la chapelle. Cette complaisance eut le résultat qu’elle ne pouvait manquer d’avoir : le futur de Luciane conçut une haute idée du talent et du caractère de l’Architecte.

Riche, et amateur passionné des arts, ce jeune seigneur était assez sage pour sentir qu’il perdrait son temps et son argent, s’il suivait au hasard le penchant qui le poussait à faire bâtir et à réunir des objets curieux. La direction d’un homme prudent et expérimenté lui était indispensable, et personne ne pouvait mieux remplir son but que l’Architecte, dont il venait de faire connaissance d’une manière si inattendue : il en parla à Luciane qui l’excita à s’attacher sans délai ce jeune artiste.

En allant ainsi au-devant des désirs de son futur, elle n’avait d’autre intention que d’enlever à Ottilie un homme remarquable qui lui avait voué une amitié si tendre, qu’on ne pouvait manquer d’y reconnaître un commencement d’amour. L’idée que les conseils et les secours d’un artiste aussi distingué pourraient lui être utiles à elle-même, n’entrait pour rien dans sa conduite. Cependant il avait déjà plus d’une fois donné à ses fêtes improvisées un mérite réel ; mais loin de lui en savoir gré, elle ne supposait pas même la possibilité qu’elle pût avoir besoin de ses avis ; elle se croyait supérieure en tout et à tout le monde. Au reste, l’intelligence et l’adresse de son valet de chambre qui lui avaient suffi jusque là, étaient en effet tout ce qu’il fallait pour exécuter ses inventions vulgaires et bornées ; car jamais elle ne voyait, pour célébrer les anniversaires ou tout autre jour