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et tantôt en l’engageant indirectement à la consoler en partageant sa douleur.

Malgré ces avances, l’Architecte resta immobile et froid, ce qui la mit dans la nécessité d’occuper seule les spectateurs par l’expression de son désespoir. Plusieurs fois déjà elle avait pressé l’urne sur son cœur, levé ses regards vers le ciel, et fait plusieurs autres gestes semblables ; en cherchant à les varier, elle les exagéra au point, qu’elle finit par ressembler beaucoup plus à la matrone d’Éphèse qu’à la royale veuve de Carie.

Cette scène s’était tellement prolongée, que le pianiste ne savait plus comment varier ses airs de deuil ; aussi passa-t-il tout à coup à des mélodies gaies et bruyantes qui forcèrent Luciane à donner un autre caractère à ses attitudes, au moment même où elle allait exprimer à l’artiste sa larmoyante reconnaissance. On se pressa autour d’elle en l’accablant d’éloges et de remercîments, et l’Architecte eut sa part du succès ; car son dessin excita une admiration générale et sincère. Le futur, surtout, en fut très-satisfait et le lui témoigna en termes flatteurs.

— Il est fâcheux, continua-t-il, que, dans peu de jours, il ne restera plus rien de ce beau dessin. Je vais le faire porter dans ma chambre, afin d’en jouir du moins aussi longtemps que possible.

— Si vous le désirez, répondit l’Architecte, je vous montrerai une collection de monuments funéraires dont cette esquisse n’est qu’une réminiscence très-imparfaite.

Ottilie, qui se trouvait près d’eux, s’empressa de lui dire qu’il ne pourrait jamais montrer ses chefs-d’œuvre à un connaisseur plus capable de les apprécier.