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c’est-à-dire de dessiner sous les yeux de la reine un mausolée digne de sa douleur et du mort qui en était l’objet.

Cette exigence lui fut d’autant plus désagréable que son costume noir, il est vrai, mais étroit et à la mode, contrastait d’une manière bizarre avec la couronne, les franges, les glands de jais, les voiles de crêpe et les draperies de velours de la reine. Prenant toutefois son parti en homme d’esprit et de bonne compagnie, il s’avança gravement vers le tableau, prit le crayon qu’un des pages lui présenta et dessina un mausolée imposant et beau, mais qui semblait plutôt appartenir à un prince lombard qu’à un roi de Carie.

Tout entier à son travail il ne fit aucune attention à la reine, et ce ne fut qu’après avoir donné le dernier coup de crayon qu’il se tourna vers elle, pour lui annoncer, par une respectueuse inclination, qu’il avait accompli ses ordres. Persuadé que son rôle était joué, il allait se retirer ; mais Luciane lui montra l’urne qu’elle tenait à la main, en cherchant à lui faire comprendre qu’elle voulait la voir reproduite sur le haut du monument.

L’Architecte n’obéit qu’à regret et d’un air contrarié, car ce nouvel ornement ne s’accordait nullement avec le caractère de son esquisse. De son côté, la reine était mécontente, presque humiliée : elle s’était flattée qu’il tracerait en hâte quelque chose de semblable à un tombeau, pour ne s’occuper que d’elle, et lui témoigner ainsi qu’il était sensible à la préférence marquée qu’elle venait de lui accorder sur tous les autres jeunes hommes de la société, en le choisissant pour jouer cette pantomime avec elle. Stimulée par sa vanité blessée, elle chercha plusieurs fois à établir des rapports directs avec lui, tantôt en admirant son travail avec enthousiasme,