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sans se croire sous l’empire du plus charmant et du plus espiègle des farfadets.

Ces sortes de déguisements lui valaient encore un autre genre de triomphe, auquel elle attachait le plus grand prix ; celui de faire paraître dans tout son éclat, le talent avec lequel elle exécutait des danses de caractère et des pantomimes.

Un jeune cavalier de sa suite, qui s’était exercé à accompagner sur le piano ses attitudes et ses gestes par des airs analogues, savait si bien lire ses désirs dans ses yeux, qu’il lui suffisait d’un coup d’œil pour deviner sa pensée.

Au milieu d’une brillante soirée dansante, elle jeta sur lui un de ces regards significatifs ; il la comprit et la supplia aussitôt de surprendre la société par une représentation improvisée. Cette demande parût l’embarrasser ; elle se fit prier longtemps contre son habitude, feignit d’hésiter sur le choix du sujet et finit, à l’exemple de tous les improvisateurs, par demander qu’on lui en donnât un ; le jeune cavalier lui indiqua celui d’Artémise au tombeau de son mari.

Luciane s’éloigna et reparut bientôt sous le costume de la royale veuve. Sa démarche était grave et imposante, une marche funèbre savamment exécutée sur le piano soutenait ses gestes et ses attitudes, et ses yeux ne quittaient point l’urne funèbre qu’elle tenait dans ses mains. Deux pages en grand deuil la suivaient, portant un grand tableau noir et un morceau de crayon blanc. Un autre cavalier de sa suite, qui était également dans le secret, poussa l’Architecte au milieu du cercle qui s’était formé autour d’Artémise ; mais il avait eu soin de l’avertir qu’il ne pouvait se dispenser de jouer, dans cette scène, le rôle qui lui appartenait de droit,