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une foule aussi brillante que nombreuse accourait de tous côtés.

Pendant ce temps, Charlotte réglait avec sa tante et le chargé d’affaires du futur les intérêts du jeune couple ; Ottilie entretenait, par son esprit d’ordre et sa bonté, le zèle des domestiques, des chasseurs, des jardiniers, des pêcheurs et des fournisseurs de toute espèce, afin de pouvoir satisfaire aux besoins et aux caprices de cette nombreuse société.

Semblable à une comète vagabonde qui traîne après elle une crinière enflammée, Luciane n’accordait de repos à personne. A peine les visiteurs les plus âgés et les plus calmes avaient-ils arrangé leurs parties de jeu, qu’elle renversait les tables et forçait tout ce qui pouvait se mouvoir à prendre part aux danses et aux divertissements bruyants. Et qui aurait osé rester immobile, quand une aussi séduisante jeune fille exigeait le mouvement et l’action ?

Toutefois, si elle ne voyait et ne demandait jamais que son plaisir à elle, les autres trouvaient aussi leur compte dans son humeur bruyante ; les hommes surtout ; car, grâce au tact merveilleux avec lequel elle distribuait ses prévenances et ses agaceries, chacun d’eux se croyait le mieux partagé. Dominée par le besoin de plaire toujours et à tout le monde, elle n’épargna pas même les hommes d’un caractère grave ou avancés en âge, quand leur rang ou leur position sociale leur donnait quelqu’importance. Pour les captiver, elle avait recours à toutes sortes d’attentions délicates, telles que de célébrer leurs fêtes de naissance ou de nom, dont elle s’était procurée les dates par des détours adroits.

Chez elle la malignité était pour ainsi dire érigée en système ;