Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/167

Cette page n’a pas encore été corrigée

pour sa famille, privilège en échange duquel il avait assez généreusement doté l’église.

L’avocat chargé de faire valoir ses droits les exposa avec chaleur, mais avec convenance ; Charlotte l’écouta avec attention.

— Je suis persuadé, Madame, lui dit-il enfin, que vous êtes maintenant convaincue vous-même que l’homme, dans toutes les positions sociales, éprouve le besoin de connaître la place où dorment les siens. Le campagnard le plus pauvre veut pouvoir planter une croix de bois sur la tombe de son enfant, pour y suspendre une couronne ; l’une et l’autre dure autant que sa douleur, son modeste deuil n’en demande pas davantage. Les classes plus aisées convertissent ces croix de bois en fer qu’elles entourent et protègent de différentes manières. Voici déjà la prétention d’une durée de plusieurs années. Mais ces croix de fer aussi finissent par tomber et disparaître, voilà pourquoi les riches ont conçu l’idée d’élever des monuments de pierre qui survivent à plusieurs générations et qu’on peut relever de leurs ruines. Est-ce le monument qui demande et obtient la vénération ? Non, c’est la cendre qu’il couvre. Il ne représente donc pas un souvenir, mais une personne ; il n’appartient pas au passé, mais au présent. Ce n’est pas dans le monument, mais dans la terre que l’imagination cherche et retrouve un mort chéri ; c’est autour de cette terre que se réunissent les amis, les parents ; il est donc bien naturel qu’ils demandent le droit d’en exclure ceux qui ont été hostiles ou étrangers à ce mort.

Selon moi, Madame, mon client donnerait une grande preuve de modération s’il se contentait du remboursement de la somme dont il a doté l’église ; rien ne saura jamais