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de prairies que sillonnait un rapide et bruyant ruisseau. Des champs et des vergers séparaient les villages qui s’élevaient çà et là sur le penchant des collines, et donnaient à la contrée quelque chose de paisible et de riant. Rien dans cette vaste vallée ne frappait l’imagination, tout y développait l’amour de la vie.

Bientôt une grande métairie, entourée de jardins, attira l’attention de Mittler par son air de propreté et d’élégance champêtre ; et il devina sans peine que c’était en ce lieu que le Baron se cachait à tous les siens.

Édouard avait en effet choisi cette demeure silencieuse, où il s’abandonnait entièrement à tous les rêves que lui suggérait sa passion. Souvent il se flattait qu’Ottilie pourrait partager avec lui cette retraite, s’il trouvait le moyen de l’y attirer. Plus souvent encore, il bornait ses vœux à lui assurer la propriété de ce joli petit domaine, afin qu’elle pût y vivre tranquille, indépendante surtout. Parfois même il poussait la résignation jusqu’à supporter l’idée qu’elle pourrait redevenir heureuse, en partageant cette existence paisible avec un autre que lui. C’était ainsi que ses journées s’écoulaient dans un passage perpétuel de l’espérance à la douleur, de la résignation au désespoir.

L’arrivée de Mittler ne l’étonna point ; il s’était attendu à le voir plus tôt, mais en qualité de messager de Charlotte ; aussi s’était-il préparé d’avance à le charger de propositions assez claires et assez tranchées, pour terminer enfin leurs incertitudes mutuelles. L’idée qu’il ne pouvait manquer de lui donner des nouvelles d’Ottilie acheva de lui faire regarder la visite de ce vieil ami comme l’apparition d’un messager du ciel.

Lorsqu’il apprit que non-seulement Mittler ne venait pas