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avec plaisir, car il connaissait son état et aimait sincèrement Édouard.

Un jour qu’elle lui faisait remarquer avec satisfaction que tout ce que le Baron avait greffé pendant le printemps avait parfaitement réussi, il lui répondit d’un air soucieux :

— Je désire que ce bon seigneur en recueille beaucoup de joie ; mais s’il nous revient pour l’automne, il verra qu’il y a dans l’ancien jardin du château des espèces précieuses qui datent du temps de feu son père. Les pépiniéristes d’aujourd’hui ne sont pas aussi consciencieux que les Chartreux. Leurs catalogues sont remplis de noms curieux, on achète, on greffe, on cultive, et quand les fruits arrivent, on reconnaît que de pareils arbres ne méritent pas la place qu’ils occupent.

Le fidèle serviteur demandait surtout à Ottilie l’époque du retour d’Édouard, et lorsqu’elle lui disait qu’elle l’ignorait, il devenait triste et pensif, car il croyait qu’elle le jugeait indigne de sa confiance. Et cependant elle ne pouvait se séparer des plates-bandes, des carrés où tout ce qu’elle avait semé et planté avec son ami était en pleine fleur, et n’avait plus besoin d’autres soins que d’un peu d’eau, que Nanny, qui la suivait toujours un arrosoir à la main, versait avec prodigalité. Les fleurs d’automne, encore en boutons, lui causaient surtout une douce émotion. Il était certain que pour la fête d’Édouard elles brilleraient dans tout leur éclat, et elle espérait s’en servir à cette occasion, comme d’autant de témoins de son amour et de sa reconnaissance. Mais l’espoir de célébrer cette fête n’était pour elle qu’une ombre vacillante : le doute et les soucis entouraient sans cesse de leurs tristes murmures l’âme de la pauvre fille.