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et réclama plusieurs objets peu importants, mais qui faisaient deviner l’intention d’une longue absence.

— Je ne comprends pas ce que vous venez faire ici, lui dit Charlotte d’un ton irrité ; vous avez toujours été chargé seul de tout ce qui concerne le service personnel de votre maître, et vous n’avez besoin de personne pour vous procurer les choses qui vous sont nécessaires.

L’adroit valet s’excusa de son mieux, mais sans renoncer à l’espoir de faire sortir Ottilie ; car c’était là le seul but de sa démarche. Elle le devina et allait s’éloigner avec lui, mais Charlotte la retint et ordonna sèchement au valet de chambre de se retirer. Il fut forcé d’obéir, et bientôt la berline sortit du château.

Quel instant terrible pour la pauvre jeune fille ! elle ne comprit, elle ne sentit rien, sinon qu’Édouard venait de lui être arraché pour un temps illimité. Sa souffrance était telle que Charlotte en eut pitié et la laissa seule.

Qui oserait décrire sa douleur, ses larmes, ses angoisses ? Elle pria Dieu de lui aider à passer cette cruelle journée ; la nuit fut plus terrible encore, mais elle y survécut, et le lendemain matin il lui semblait qu’elle avait changé d’existence et de nature. Elle ne s’était pas résignée à son malheur ; elle l’avait approfondi, elle avait acquis la certitude qu’il pouvais s’augmenter encore. Le départ d’Édouard ne lui paraissait que le prélude du sien ; car elle ignorait la menace par laquelle il avait su forcer sa femme à garder sa rivale près d’elle, et à la traiter avec indulgence et bonté.

Charlotte s’acquitta noblement de la tâche difficile que son mari lui avait imposée. Pour arracher Ottilie à elle-même, elle la surchargeait d’occupations, et ne la laissait que fort rarement seule. Sans se flatter qu’il serait