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ÉDOUARD A CHARLOTTE.

Je ne sais si le mal qui est venu nous frapper est guérissable ou non, mais je sens que pour échapper au désespoir, j’ai besoin d’un délai, et le sacrifice que je m’impose me donne le droit de l’exiger. Je quitterai ma maison jusqu’à ce que notre avenir à tous soit décidé. En attendant cette décision, tu en seras la maîtresse absolue, mais à la condition expresse que tu partageras cet empire avec Ottilie. Ce n’est pas au milieu d’étrangers, c’est à tes côtés que je veux qu’elle vive. Continue à être bonne et douce pour elle, redouble d’égards et de délicatesse envers cette chère enfant ; je te promets, en échange, de n’entretenir avec elle aucune relation. Je veux même rester, pour un certain temps, dans une ignorance complète sur tout ce qui vous concernera toutes deux. Mon imagination rêvera que tout va pour le mieux, et vous pourrez en penser autant sur mon compte.

Je te prie, je te conjure encore une fois de ne pas éloigner Ottilie. Si elle dépasse le cercle dans lequel se trouve ce domaine et ses dépendances, si elle entre dans une sphère étrangère, elle n’appartient plus qu’à moi, et je saurai m’emparer de mon bien. Si tu respectes mes vœux, mes espérances, mes douleurs, mes illusions, eh bien ! alors je ne repousserai peut-être pas la guérison, si toutefois elle venait s’offrir à mon cœur malade…


A peine sa plume avait-elle tracé cette dernière phrase, que son âme tout entière la démentit ; en la voyant sur le papier, tracée par sa main, il éclata en sanglots.