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général, plus d’une place lui était entièrement inconnue ; aussi suivait-il prudemment la route sur laquelle il était sûr de ne pas se tromper.

Bientôt Charlotte le pria de nouveau d’abréger la promenade ; alors il rama plus directement vers le point qu’elle-même lui désigna. Au bout de quelques instants le bateau s’arrêta, il venait de toucher le fond, et, malgré ses efforts vigoureux et réitérés, il lui fut impossible de le remettre à flot. Que faire ? un seul parti lui restait, il n’hésita pas à le prendre. Sautant dans l’eau, assez basse pour qu’il pût y marcher sûrement, il prit Charlotte dans ses bras pour la porter vers le rivage.

Aussi robuste qu’adroit, il ne fit pas un mouvement qui pût lui donner de l’inquiétude, et cependant elle enlaçait son cou et il la pressait tendrement contre sa poitrine. Arrivé sur le rivage, il la déposa sur un tertre couvert de gazon. Son agitation tenait du délire ; ses bras qui enlaçaient le corps de son amie, toujours suspendue à son cou, ne pouvaient se détacher. Eperdu, hors de lui, il l’attira sur son cœur, et imprima sur ses lèvres un baiser brûlant ; mais presque au même instant il se jeta à ses pieds.

— Me pardonnerez-vous ! oh ! me pardonnerez-vous, Charlotte ? s’écria-t-il avec désespoir.

Le baiser qu’elle avait reçu, qu’elle avait rendu, rappela Charlotte à elle-même. Sans relever le Capitaine, elle posa une main dans les siennes et appuya l’autre sur son épaule.

— Il n’est pas au pouvoir humain, dit-elle, d’effacer cet instant de notre vie, il y fera époque ; que cette époque du moins soit honorable ! Sous peu le Comte va vous assurer un sort digne de votre mérite. Je ne devais