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ment de fidèles alliés, qui donnent leur or, leur sang, pour son intérêt, ils ne veulent pas accepter pour leur part un léger fardeau, afin que l’ennemi de l’Empire soit humilié ? — Vous connaissez sans doute ces sentiments depuis longtemps, et vous les avez soufferts en homme sage. Et puis ce n’est que le petit nombre, un petit nombre, ébloui par les brillantes qualités de l’ennemi, que vous estimez vous-même comme un homme extraordinaire, un petit nombre seulement, vous le savez. — Fort bien. Je l’ai su et je l’ai souffert trop longtemps ; sans cela, cet homme ne se serait pas permis de m’adresser en face, dans les moments les plus graves, de pareilles injures. Qu’ils soient aussi nombreux qu’ils voudront, ils seront châtiés dans leur audacieux représentant, et ils apprendront ce qu’ils ont à attendre. — Un délai seulement, monsieur le comte ! — Dans certaines affaires, on ne peut agir trop vite. — Seulement un court délai ! — Voisin, vous voulez m’entraîner dans une fausse démarche ; vous n’y réussirez pas. — Je ne veux ni vous entraîner dans une fausse démarche, ni vous en détourner. Votre résolution est juste, elle est bienséante au Français, au lieutenant du roi ; mais songez que vous êtes aussi le comte de Thorane. — Le comte n’a rien à dire ici. — Il faudrait pourtant écouter aussi ce brave homme. — Eh bien ! que dirait-il ? — Monsieur le lieutenant, dirait-il, si longtemps vous avez pris patience avec tant de gens moroses, mécontents, malhonnêtes, quand ils n’en usaient pas trop mal avec vous ! Celui-ci en a usé très-mal, sans doute ; mais surmontez-vous, monsieur le lieutenant, et vous en serez loué et célébré de chacun. — Vous savez que je puis souffrir quelquefois vos bouffonneries, mais n’abusez pas de ma bonté. Ces hommes sont-ils donc absolument aveuglés ? Si nous avions perdu la bataille, quel serait leur sort dans ce moment ? Nous combattons jusque devant les portes, nous fermons la ville, nous tenons, nous nous défendons, pour couvrir notre retraite en deçà du pont. Croyez-vous que l’ennemi fût resté les bras croisés ? Il lance des grenades et ce qu’il a sous la main, et elles mettent le feu où elles peuvent. Que veut-il donc, ce propriétaire ? En ce moment peut-être un boulet rouge tomberait dans ces chambres, un autre le suivrait de près ; dans ces chambres, dont j’ai épargné les maudites tentures chinoises, où