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semblable, et pourtant, après quelques visiles, l’habitude me fit bientôt trouver cela tout naturel.

Mais je ne tardai pas à me sentir le cœur touché d’une façon toute particulière. Le jeune Derones (c’est ainsi que je nommerai le petit garçon, avec qui mes rapports duraient toujours) était, à partses vanteries, un enfant de bonne conduite et de gentilles manières. Il me fit connaître sa sœur, qui avait peut-être deux ans de plus que nous. C’était une agréable jeune fille, bien faite, d’une figure régulière, brune, aux yeux et aux cheveux noirs. Toute sa manière d’être avait quelque chose de taciturne et même de triste. Je cherchai tous les moyens de lui plaire, mais je ne pus attirer sur moi son attention. Les jeunes filles se croient beaucoup plus avancées que les garçons un peu moins âgés, et, portant leurs regards vers les jeunes gens, elles se donnent des airs de tantes à l’égard du petit garçon qui leur voue sa première inclination. Elle avait un frère cadet, avec lequel je n’eus aucuns rapports.

Quelquefois, tandis que la mère était à la répétition ou en société, nous nous réunissions chez elle pour jouer ou causer. Je n’y allais jamais sans offrir à la belle une fleur, un fruit ou quelque autre chose, qu’elle acceptait toujours de très-bonne grâce, en me remerciant de la manière la plus polie, mais je ne vis jamais son triste regard s’égayer, et je ne pus remarquer chez elle aucune trace d’inclination pour moi. Enfin je crus avoir découvert son secret. Le petit garçon me montra derrière le lit de sa mère, qui était orné d’élégants rideaux de soie, une peinture au pastel, offrant le portrait d’un bel homme, et il me fit comprendre en même temps par une mine d’espiègle, que ce n’était pas proprement le papa, mais tout comme le papa ; et, à l’entendre vanter ce monsieur, et conter, à sa manière, mille choses avec force détails et gasconnades, je crus deviner que la fille appartenait bien au père, mais les deux autres enfants à l’ami de la maison. Alors je m’expliquai l’air triste de la jeune fille, et elle ne m’en fut que plus chère.

Mon inclination pour elle m’aidait à supporter les étourderies de son frère, qui ne restait pas toujours dans de justes bornes. Il me fallait essuyer souvent les interminables récits de ses exploits ; il me contait comme il s’était déjà battu souvent, sans