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ment singulier, en sorte qu’il se trouvait tantôt d’un côté de la rue tantôt de l’autre, et décrivait en marchant des zigzags. Les railleurs disaient que, par ces déviations, il s’efforçait d’échapper aux âmes trépassées qui voulaient le poursuivre en ligne droite, et qu’il imitait les gens qui fuient un crocodile. Mais toutes ces plaisanteries et ces joyeux propos firent place au respect, lorsqu’il consacra à une institution médicale sa belle demeure, avec cour, jardin et toutes les dépendances, où furent établis, à côté d’un hôpital réservé aux bourgeois de Francfort, un jardin botanique, un amphithéâtre anatomique, un laboratoire de chimie, une bibliothèque considérable, et un logement pour le directeur ; en sorte qu’il n’est pas d’université qui ne se fut honorée d’un pareil établissement.

Un autre homme excellent, dont la personne et plus encore les écrits, ainsi que l’action qu’il exerçait sur le voisinage, ont eu sur moi une influence marquée, fut Charles Frédéric de Moser, que l’on citait toujours dans notre pays pour son activité pratique. C’était aussi un homme d’un caractère profondément moral, qui, devant lutter quelquefois contre les infirmités de la nature humaine, en fut conduit jusqu’au piétisme. Il Voulait amener la vie d’affaires, comme de Loen la vie de cour, à une pratique plus consciencieuse. La plupart des petites cours allemandes offraient une foule de maîtres et de serviteurs, dont les premiers exigeaient une obéissance absolue, tandis que les autres ne voulaient le plus souvent agir et servir que d’après leurs convictions, il en résultait un conflit perpétuel, des changements rapides et des explosions, parce que les effets d’une conduite absolue sont beaucoup plus tôt sensibles et funestes sur un petit théâtre que sur un grand. Beaucoup de maisons étaient obérées, et des commissions impériales de liquidation nommées pour cet effet ; d’autres maisons se trouvèrent plus tôt ou plus tard dans la même voie, et les serviteurs en profitaient sans scrupule ou, s’ils étaient scrupuleux, se rendaient importuns et désagréables. Moser voulut agir à la fois en homme d’État et en homme d’affaires, et ses talents héréditaires, développés jusqu’au métier, lui valurent des bénéfices considérables ; mais il voulait aussi agir en homme et en citoyen, et déroger aussi peu que possible à sa dignité morale. Son Maître et servi-