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art et sans prétention, de la manière la plus habile, pour les fins les plus proches. L’enfant, considéré en lui-même, avec ses égaux, et dans les relations qui sont proportionnées à ses forces, paraît si intelligent, si raisonnable, qu’il n’y a rien audessus, et, en même temps, si dispos, si gai, si adroit, qu’on ne saurait lui souhaiter aucune autre culture. Si les enfants se développaient tels qu’ils s’annoncent, nous n’aurions que des génies : mais la croissance n’est pas un simple développement ; les divers systèmes organiques qui forment l’unité humaine découlent les uns des autres, se succèdent les uns aux autres, se transforment les uns dans les autres, se remplacent et même se détruisent les uns les autres, en sorte que, de diverses facultés, de diverses manifestations de forces, à peine, au bout de quelque temps, pouvons-nous trouver encore une trace. Lors même que les dispositions de l’homme ont en général une direction prononcée, il est néanmoins difficile au connaisseur le plus habile et le plus expérimenté d’en faire d’avance un pronostic certain, mais on peut bien signaler après coup ce qui a présagé l’avenir.

Je ne songe donc en aucune manière à terminer complètement dans ces premiers livres l’histoire de mon enfance ; je reprendrai et je développerai dans la suite plus d’un fil qui a couru imperceptiblement à travers mes premières années. Mais je dois signaler ici la puissante influence que les événements militaires exercèrent peu à peu sur nos sentiments et notre genre de vie.

Le paisible bourgeois est dans un merveilleux rapport avec les grands événements de la politique. De loin ils lui donnent déjà l’éveil et l’inquiètent, et, lors même qu’ils ne le touchent pas, il ne peut s’empêcher de les juger, de s’y intéresser ; il prend vite un parti, selon que son caractère ou des motifs extérieurs le déterminent. Ces grands événements, ces changements considérables viennent-ils à se rapprocher, alors, à côté des souffrances extérieures, il éprouve toujours ce malaise intérieur qui, le plus souvent, redouble et irrite le mal et détruit le bien possible encore ; puis il éprouve des souffrances réelles de la part des amis et des ennemis, des premiers souvent plus que des seconds, et il ne sait comment garder et maintenir ni son inclination ni ses intérêts.