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vrir, s’il était possible, quelque chose de plus précis. J’avais entendu affirmer très-positivement que les fils ressemblaient souvent d’une manière frappante à leurs pères ou à leurs grands-pères. Plusieurs de nos amis, et particulièrement le conseiller Schneider, ami de la maison, avaient des relations d’affaires avec tous les princes et les seigneurs du voisinage, dont un grand nombre, princes régnants ou cadets, avaient leurs possessions aux bords du Rhin et du Mein et dans l’entre-deux, et quelquefois, par faveur spéciale, ils faisaient cadeau de leurs portraits à leurs fidèles chargés d’affaires. Je considérai dès lors avec une attention nouvelle ces portraits, que j’avais souvent regardés dès mon plus jeune âge, cherchant si je ne pourrais pas y découvrir une ressemblance avec mon père ou même avec moi : mais j’y parvenais trop souvent pour que cela put me conduire à quelque certitude : car c’étaient tantôt les yeux de celui-ci, tantôt le nez de celui-là, qui me semblaient trahir quelque parenté. Ces signes, assez trompeurs, me promenaient ainsi de l’un à l’autre. Et bien que je dusse regarder dans la suite ce reproche comme une fable absolument vaine, l’impression me resta, et je ne pouvais de temps en temps m’empêcher de passer en revue, dans ma pensée et d’analyser tous ces seigneurs, dont les portraits étaient demeurés très-distinctement dans ma mémoire. Tant il est vrai que tout ce qui fortifie intérieurement l’homme dans ses préventions, ce qui flatte sa vanité secrète, trouve une si grande faveur auprès de lui, qu’il ne demande plus si la chose tournerait d’une manière quelconque à son honneur ou à sa honte.

Mais, au lieu d’entremêler ici des réflexions sérieuses, et même accusatrices, j’aime mieux détourner mes regards de ces belles années. Qui pourrait en effet s’exprimer dignement sur la richesse de l’enfance ? Nous ne pouvons considérer qu’avec plaisir et même avec admiration ces petites créatures qui tournent devant nous : car, le plus souvent, elles promettent plus qu’elles ne tiennent, et il semble que la nature, entre autres malins tours qu’elle nous joue, se soit ici proposé tout particulièrement de nous prendre pour dupes. Les premiers organes qu’elle donne aux enfants venant au monde sont appropriés à l’état prochain, immédiat, de la créature, qui les emploie sans