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rendu si célèbres les Pays-Bas, devenus plus tard les Provinces-Unies. J’avais étudié soigneusement les sources, et cherché, autant que possible, à m’instruire directement et à me faire de tout une image vivante. Les situations m’avaient paru extrêmement dramatiques, et, comme figure principale, autour de laquelle les autres pouvaient se grouper de la manière la plus heureuse, le comte d’Egmont m’avait frappé ; j’étais charmé de sa grandeur humaine et chevaleresque. Mais, pour mon dessein, je dus le transformer, en lui attribuant des qualités mieux séantes à un jeune homme qu’à un homme d’âge mûr, à un homme non marié qu’à un père de famille, à un personnage indépendant qu’à celui qui, avec tout son amour de liberté, se trouve limité par des relations diverses. Après l’avoir ainsi rajeuni dans ma pensée et affranchi de toute gêne, je lui donnai un amour immense de la vie, une confiance illimitée en lui-même, le don d’attirer à lui tous les hommes (attrattiva), de gagner ainsi la faveur du peuple, l’amour secret d’une princesse, l’amour avoué d’une fille de la nature, la sympathie d’un politique, et de captiver même le fils de son plus grand ennemi.

Le courage personnel, qui distingue notre héros, est la base sur laquelle repose toute son existence, le fonds et le terrain d’où elle surgit. Il ne connaît aucun péril, il s’aveugle sur le plus grand, qui s’approche de lui. Un combattant s’ouvre, au besoin, un passage à travers les ennemis qui l’enveloppent : les filets de la politique sont plus difficiles à rompre. L’élément « démonique, » qui est en jeu des deux parts, ce conflit, dans lequel ce qui est aimable succombe et ce qui est haïssable triomphe, puis la perspective qu’il sortira de là’ un troisième événement qui répondra au vœu de tous les hommes, voilà ce qui a valu à la pièce, non pas dès son apparition, mais plus tard et au bon moment, la faveur dont elle jouit encore. Et je veux, par égard pour quelques lecteurs aimés, anticiper sur moimême, et, comme je ne sais pas si je reprendrai bientôt la plume, je vais exprimer ici une conviction qui ne s’est formée chez moi que beaucoup plus tard.

Quoique cet élément « démonique» se puisse manifester dans toutes les substances corporelles et incorporelles, que même il