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ques productions poétiques de cette époque, et je voudrais qu’elles se fussent toutes conservées. Une agitation continuelle, dans un heureux temps d’amour, augmentée par le souci qui survint, donna naissance à des chansons qui n’exprimaient absolument rien d’exagéré, mais toujours l’impression du moment. Depuis les chansons pour les fêtes de société jusqu’au plus humble cadeau, tout était vivant, senti par une société cultivée, joyeux d’abord, puis douloureux ; enfin, pas un sommet du bonheur, pas un abîme de la souffrance, auquel un chant n’eût été consacré.

Tous ces événements intérieurs et extérieurs, en tant qu’ils auraient pu affecter péniblement mon père (qui espérait toujours moins de voir introduite dans sa maison cette première bru, si agréable à ses yeux ), ma mère savait les lui dérober avec une sage vigilance. Mais cette « grande dame, » comme il l’appelait dans ses entretiens secrets avec ma mère, n’était nullement de son goût. Cependant il laissait la chose suivre son cours, et vaquait assidûment aux affaires de son petit bureau. Le jeune jurisconsulte, comme l’habile secrétaire, voyaient sous son nom leurs affaires s’étendre toujours davantage. Et, comme nous savons qu’on se passe fort bien des absents, ils me laissaient suivre mon sentier, et cherchaient à s’établir toujours mieux sur un terrain où je ne devais pas réussir.

Heureusement mes tendances s’accordaient avec les sentiments et les vœux de mon père. Il avait une si haute idée de mes talents poétiques ; le succès de mes premières productions lui avait causé tant de joie, qu’il m’entretenait souvent de nouveaux ouvrages à entreprendre, mais je n’osais rien lui communiquer de ces badinages de société et de ces poésies amoureuses. Après avoir représenté, à ma manière, dans Gœtz de Berlichingen, le type d’une époque remarquable de l’histoire universelle, je cherchai soigneusement une époque du même genre de l’histoire politique. La révolte des Pays-Bas fixa mon attention. Dans Gœtz, un brave guerrier succombe pour s’être imaginé que, dans les temps d’anarchie, l’homme énergique et bienveillant peut exercer quelque influence ; dans Egmont, des positions solidement établies ne peuvent tenir contre un despotisme rigide et bien calculé. J’avais exposé à