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vages, les lacs vaporeux et les nids de dragons. Sans contester là-dessus, il me faisait sentir, dans l’occasion, le peu de valeur de tout cela : qui n’avait pas vu Naples n’avait pas vécu.

Je n’évitai pas et je ne pouvais éviter de voir Lili : nous observâmes l’un avec l’autre une réserve délicate. Je fus informé qu’on l’avait persuadée en mon absence qu’elle devait se séparer de moi, et que cela était plus nécessaire et aussi plus facile, puisque, par mon voyage et mon absence tout à fait arbitraires, je m’étais moi-même assez expliqué. Cependant les mêmes lieux, à la ville et à la campagne, les mêmes personnes, initiées à tout ce qui s’était passé, ne laissaient guère sans contact les deux amants, toujours épris, quoique séparés l’un de l’autre d’une manière étrange. C’était un état maudit, comparable, dans un certain sens, à l’enfer, à la société de ces heureux et malheureux morts. Il y avait des moments où les jours passés semblaient renaître, mais pour disparaître aussitôt comme des fantômes orageux. Des personnes bienveillantes me confièrent que Lili avait déclaré, quand on lui eut représenté tout ce qui s’opposait à notre union, que, par amour pour moi, elle pourrait renoncer à sa position et à sa société pour me suivre en Amérique. L’Amérique était alors, plus encore peut-être qu’aujourd’hui, l’Eldorado de ceux qui se trouvaient à la gêne dans leur situation présente. Mais ce qui aurait dû ranimer mes espérances leur porta le coup fatal. Ma belle maison paternelle, qui était à quelques cents pas de la sienne, était pourtant une situation plus acceptable qu’un établissement incertain, éloigné, au delà des mers. Cependant, je ne le nierai pas, en présence de Lili, toutes mes espérances, tous mes vœux renaissaient, et j’étais agité de nouvelles incertitudes. L’opposition de ma sœur était toujours aussi prononcée. Avec toute la sensibilité intelligente dont elle était capable, elle m’avait exposé clairement la situation, et ses lettres pressantes, véritablement douloureuses, développaient toujours le même texte avec une nouvelle énergie. « Si vous ne pouviez l’éviter, disait-elle, il faudrait le souffrir. On endure de pareilles choses on ne les choisit pas. » Quelques mois s’écoulèrent dans un état si malheureux : tous les entours s’étaient prononcés contre ce mariage ; en elle seule, je le croyais, je le savais, était un