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proposa, par exemple, ce dimanche-là de ne regarder personne, et de se borner à observer les mains pour s’en expliquer la figure ; et non-seulement la forme des doigts, mais encore leur geste en laissant tomber l’offrande, n’échappa point à son attention, et il eut à ce sujet beaucoup de révélations à me faire. Combien ces entretiens ne devaient-ils pas être instructifs et stimulants pour moi, qui étais aussi en voie de me signaler comme peintre de la nature humaine ! Je fus conduit à diverses époques de ma vie à méditer sur cet homme, un des plus excellents avec lesquels je sois arrivé à une pareille intimité, et j’écrivis en divers temps les réflexions suivantes, qu’il m’inspira. Nos tendances opposées durent nous rendre peu à peu étrangers l’un à l’autre ; cependant je ne voulus pas laisser déchoir dans mon esprit l’idée de son excellente nature. Je me la représentai à diverses reprises, et c’est ainsi que ces pages furent écrites sans liaison entre elles. On y trouvera des répétitions peut-être, mais non, je l’espère, des contradictions.


À proprement parler, Lavater était tout réaliste, et ne connaissait l’idéal que sous la forme morale. C’est là ce qu’il ne faut pas perdre de vue pour s’expliquer cet homme rare et singulier. Ses Perspectives sur l’éternité ne sont proprement que des continuations de l’existence actuelle, dans des conditions plus faciles que celles auxquelles nous sommes soumis ici-bas. Sa Physiognomonie repose sur la croyance que l’extérieur de l’homme correspond parfaitement à l’intérieur, en rend témoignage et même le représente. Il ne pouvait se faire à l’idéal de l’art, parce que, avec son regard pénétrant, il voyait trop bien chez de tels êtres l’impossibilité de l’organisation vivante, et les rejetait par conséquent dans le domaine des fables et même des monstres. Sa tendance irrésistible à réaliser l’idéal lui fit la réputation d’un enthousiaste, tout persuadé qu’il était que personne plus que lui ne poursuivait la réalité. C’est pourquoi il ne put jamais découvrir la méprise dans sa manière de penser et d’agir.

Peu de gens ont pris à tâche plus vivement de se manifester aux autres, et c’est par là essentiellement qu’il fut instituteur. Cependant, quoique ses efforts eussent aussi pour objet le perfectionnement intellectuel et moral des autres, ce n’était pas le dernier terme auquel il tendait.

Son occupation principale était la réalisation de la personne du Christ : de là cet empressement presque fou de faire dessiner, copier, imiter, l’une après l’autre, une image du Christ, dont aucune à la fin ne pouvait naturellement le satisfaire.

Ses écrits sont déjà difficiles à comprendre ; car il n’est pas aisé de pénétrer son véritable dessein. Personne n’a autant écrit de l’époque et sur l’époque ; ses écrits sont de véritables journaux, que l’histoire du temps