Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/645

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce ne fut pas sans impressions et sans pensées nouvelles ou renouvelées que nous nous rendîmes à Kussnacht, en côtoyant les imposantes montagnes du lac des Quatre-Cantons ;nous abordâmes, et, poursuivant notre marche, nous saluâmes la chapelle de Tell, située au bord de la route, et nous nous rappelâmes ce meurtre, célébré dans tout le monde comme un acte d’héroïsme patriotique. Nous traversâmes de même le lac de Zoug, que nous avions déjà vu du Righi. Zoug ne me rappelle que les vitraux peints, de grandeur médiocre, mais excellents dans leur genre, enchâssés dans les fenêtres de la salle d’auberge. De là, traversant l’Albis, nous gagnâmes le Sihlthal, où nous visitâmes un jeune monsieur de Lindau, du Hanovre, qui se plaisait dans la solitude. Je voulais m’excuser auprès de lui d’avoir refusé sa compagnie, ce que j’avais fait pourtant de la manière la plus polie et la plus affectueuse. La jalouse amitié du bon Passavant était la véritable cause qui m’avait empêché d’accepter une société, aimable sans doute, mais incommode.

Avant de redescendre de ces hauteurs magnifiques vers le lac et la ville gracieusement située, je dois faire encore une observation sur mes tentatives pour exprimer par mes dessins et mes esquisses quelques traits de ce pays. L’habitude que j’avais dès l’enfance de considérer le paysage comme un tableau m’induisit à entreprendre, quand je voyais de la sorte une contrée nouvelle, de fixer en moi un souvenir exact de pareils moments. Mais, ne m’étant exercé auparavant que sur des objets bornés, je sentis bientôt mon insuffisance dans un monde pareil. La hâte et l’impatience me réduisirent à un singulier expédient : aussitôt que j’avais saisi un objet intéressant et que je l’avais indiqué, en quelques traits d’une manière tout à fait générale, je donnais à côté, en paroles, les détails que je n’avais pu exprimer ni exécuter avec le crayon : par là, je me rendis ces aspects si présents, qu’à l’instant même où je voulais mettre en usage une localité dans un poëme ou dans un récit, elle paraissait devant moi et se trouvait à ma disposition.

Revenu à Zurich, je n’y trouvai plus les Stolberg. Leur séjour dans cette ville s’était abrégé par une singulière aventure. Avouons, en général, que des voyageurs qui s’éloignent du cercle borné de leur vie domestique s’imaginent, en quelque