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était devant eux aussi merveilleusement impénétrable que les montagnes dans lesquelles ils allaient s’avancer.

Le 20, nous gagnâmes Amstaeg, où l’on nous servit d’excellents poissons. Enfin, dans cette montagne, déjà assez sauvage, où la Reuss s’élançait de gorges rocheuses plus escarpées, et où l’eau de neige se jouait sur les couches de pur gravier, je saisis avec empressement l’occasion souhaitée de me rafraîchir dans les flots murmurants. À trois heures, nous poursuivîmes notre marche ; une file de bêtes de somme nous précédait ; nous traversâmes avec elles une large masse de neige, et nous n’apprîmes qu’après qu’elle était creuse par-dessous. La neige de l’hiver s’était amoncelée dans un ravin, autour duquel il aurait fallu tourner ; elle servait maintenant à redresser et abréger le chemin. Les eaux torrentueuses l’avaient peu à peu creusée par-dessous ; la chaleur de l’été avait de plus en plus fondu la voûte, en sorte qu’elle unissait naturellement les deux bords, comme un large pont cintré. Nous pûmes nous convaincre de ce merveilleux phénomène, lorsque, étant arrivés un peu plus haut, nous nous hasardâmes à descendre dans le ravin plus large.

À mesure que nous nous élevions, nous laissions sous nos pieds, dans l’abîme, les bois de sapins, à travers lesquels la Reuss écumante se laissait voir de temps en temps, tombant de rochers en rochers. À huit heures et demie, nous arrivâmes à Wasen, où, pour nous rafraîchir avec le vin rouge lombard, acide et pesant, il nous fallut d’abord le tremper et ajouter en abondance, le sucre que la nature lui avait refusé. L’hôte nous montra de beaux cristaux, mais j’étais alors si éloigné de ces études, que je ne voulus pas, même pour un prix modique, me charger de ces productions de montagne. Le 21, à six heures et demie, nous poursuivons notre ascension. Les rochers sont toujours plus énormes et plus affreux ; la route, jusqu’à la pierre du Diable, jusqu’à la vue du pont du Diable, est toujours plus pénible. Là il plut à mon compagnon de se reposer ; il me pressa de dessiner ce point de vue remarquable. Je réussis à tracer les contours, mais rien ne ressortait, rien n’était refoulé. Je n’avais point de langage pour de pareils objets. Nous continuâmes de monter péniblement ; les sauvages horreurs semblaient croître sans cesse ; les plateaux devenaient des montagnes, et les enfon-