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berge. À midi, arrivé à Kaltbad ou fontaine des Trois-Sœurs. À deux et un quart, nous avions gravi la hauteur. Nous nous trouvâmes dans les nuages, doublement désagréables cette fois, parce qu’ils masquaient la vue et retombaient sur nous en brouillards humides. Mais, lorsqu’ils se déchirèrent ça et là et qu’ils nous laissèrent voir, entouré de cadres flottants, un monde brillant, magnifique, illuminé par le soleil, comme des images qui se produisaient et changeaient sans cesse, nous ne regrettâmes plus ces accidents ; car c’était un spectacle que nous n’avions jamais vu, que nous ne devions plus revoir, et nous restâmes longtemps dans cette position, assez incommode, pour apercevoir, à travers les déchirures et les intervalles des masses de nuages sans cesse en mouvement, un petit lambeau de terre, une lisière de rivage, un petit bout de lac, éclairés par le soleil. À huit heures du soir, nous étions de retour à l’auberge, où nous trouvâmes du poisson, des œufs et du vin en suffisance. Au crépuscule, et à mesure que la nuit tombait, des sons formant une mystérieuse harmonie occupèrent notre oreille, le tintement de la cloche de la chapelle, le gazouillement de la fontaine, le murmure des brises changeantes, les sons lointains du cor… C’étaient des moments salutaires, qui apaisent et qui endorment dans les chants. Le 19, à six heures et demie du matin, nous commençâmes par monter, puis nous descendîmes au lac des Quatre cantons, à Fitznau ; de là, par le lac, à Gersau. À midi, à l’auberge, au bord du lac. Vers deux heures, nous sommes vis-à-vis du Grutli, où les trois Tells firent leur serment ; puis à la plate-forme où le héros s’élança de la barque, et où la peinture a immortalisé, en son honneur, la légende de sa vie et de ses actions. Vers trois heures, à Fluelen, où Tell fut embarqué ; vers quatre heures, à Altorf, où il abattit la pomme. On s’attache tout naturellement à ce fil poétique à travers le labyrinthe de ces rochers, qui descendent à pic jusque dans l’eau et n’ont rien à nous dire. Pour eux, inébranlables, ils sont là, immobiles comme les coulisses d’un théâtre ; bonheur ou malheur, joie ou tristesse, n’appartiennent qu’aux personnages qui sont aujourd’hui sur l’affiche. Au reste, de pareilles réflexions étaient tout à fait hors de la sphère de nos jeunes gens ; ils avaient oublié leur court passé, et l’avenir