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On nous fit monter un étage, et l’on nous introduisit dans une chambre toute lambrissée, où nous vîmes un joyeux vieillard de moyenne taille venir au-devant de nous. Il nous accueillit avec une salutation qu’il avait coutume d’adresser aux disciples qui le visitaient. Nous devions lui savoir gré, nous dit-il, d’avoir différé son départ de ce monde passager assez longtemps pour nous accueillir avec amitié, pour faire notre connaissance, se réjouir de nos talents et nous exprimer ses vœux pour la suite de notre carrière. Nous le félicitâmes à notre tour, lui poète, qui appartenait au monde des patriarches, d’avoir possédé toute sa vie dans le voisinage d’une ville si cultivée, une demeure véritablement idyllique, et, dans cette atmosphère haute et libre, d’avoir joui durant de longues années d’une telle perspective, à la satisfaction perpétuelle de ses yeux. Il ne parut point mécontent, quand nous lui demandâmes la permission d’admirer un moment la vue de sa fenêtre, et, véritablement, par un brillant-soleil, dans la plus belle saison de l’année, cette vue paraissait incomparable. On voyait une bonne partie de la grande ville s’abaissant dans la profondeur, la petite ville sur l’autre bord de la Limmat, les fertiles campagnes de la Sihl vers le couchant ; en arrière, à gauche, une partie du lac de Zurich avec sa plaine brillante et mobile et l’infinie variété de ses rives, où les montagnes alternent avec les vallées ; ses collines et mille détails que l’œil ne peut saisir. Après quoi, ébloui de toutes ces choses, on contemplait dans le lointain, avec le plus ardent désir, la chaîne bleue des hautes montagnes, dont on se hasardait à nommer les cimes. Le ravissement de jeunes hommes, en présence du spectacle extraordinaire qui était devenu pour lui, depuis tant d’années, une chose coutumière, parut faire plaisir à Bodmer ; il s’y montrait, pour ainsi dire, sympathique avec ironie, et nous nous séparâmes très-bons amis, bien que l’impatience de courir à ces montagnes bleues se fût déjà rendue maîtresse de nos cœurs.

Au moment où je vais prendre congé de notre digne patriarche, je m’aperçois que je n’ai rien dit encore de sa stature, de sa physionomie, de ses gestes et de sa manière d’être ; mais, en général ; je ne trouve pas fort convenable que les voyageurs décrivent l’homme remarquable qu’ils visitent, comme s’ils