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bien de beaucoup modifier les circonstances, et, par l’uniformité de mon récit, je changeai, dans les esprits de mes auditeurs, la fable en vérité.

Au reste, j’étais ennemi du mensonge et de la feinte, et, en général, je n’étais point léger : au contraire, les dispositions sérieuses avec lesquelles je considérais dès lors et moi-même et le monde, se montraient aussi dans mon extérieur, et je fus souvent repris amicalement, souvent aussi avec moquerie, sur un certain air de dignité que je me donnais : car, si je ne manquais pas d’amis fidèles et choisis, cependant nous étions toujours le petit nombre, vis-à-vis de ceux qui prenaient plaisir à nous attaquer avec une grossière malice, et qui nous réveillaient souvent d’une manière fort désagréable de ces rêves fabuleux et flatteurs dans lesquels, moi, qui les inventais, et mes camarades, qui s’y intéressaient, nous nous perdions si volontiers. Alors nous reconnûmes une fois de plus, qu’au lieu de s’abandonner à la mollesse et aux plaisirs fantastiques, on avait plutôt sujet de s’endurcir pour supporter ou pour combattre les maux inévitables.

Parmi les exercices du stoïcisme que je cultivais donc en moi aussi sérieusement qu’il est possible à un enfant, il fallait ranger aussi la patience dans les douleurs corporelles. Nos maîtres, souvent malgracieux et malhabiles, en venaient avec nous aux gourmades et aux coups, contre lesquels les enfants s’endurcissaient d’autant plus que l’indocilité ou la résistance était la faute le plus sévèrement punie. Beaucoup d’amusements du jeune âge reposent sur une émulation de pareilles souffrances ; par exemple, lorsqu’on se frappe avec deux doigts ou avec la main tout entière, jusqu’à l’engourdissement des membres, ou que l’on supporte les coups auxquels on est condamné dans certains jeux avec plus ou moins de légalité ; lorsque, dans la lutte ou la bataille, on ne se laisse pas déconcerter par les pinces de l’adversaire demi-vaincu ; lorsqu’on surmonte une douleur causée par malice ; que même on endure comme chose indifférente les pincements et les chatouillements, auxquels les enfants aiment tant à se livrer les uns envers les autres. Par là, on se donne un grand avantage, qui ne peut nous être sitôt ravi. Cependant, comme je faisais en quelque sorte profession