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mettre à profit par son activité l’héritage de la noblesse que cous avons dédaigné. Misérables que nous sommes, de négliger ce qui suffit pour élever au-dessus de nous l’homme le plus infime ! Cessons d’envier et tâchons aussi d’acquérir ce que d’autres usurpent à notre honte.

« Tout désir de gloire est honorable ; tout combat pour le mérite est digne de louange : que chaque condition conserve donc son honneur propre ; qu’un ornement particulier lui soit assuré. Je ne veux pas dédaigner les images des ancêtres, non plus que les arbres généalogiques bien établis : mais, quelle qu’en soit la valeur, elle ne nous est pas propre, si nous ne savons pas d’abord nous l’approprier par des mérites ; et cela ne peut se faire, si la noblesse n’adopte pas des mœurs qui lui conviennent. C’est en vain qu’un de ces gros et gras seigneurs te montrera les statues de ses ancêtres, tandis que lui-même, inactif, serait plus semblable à une souche que comparable à ceux dont le mérite brillait devant lui pour éclairer ses pas. Voilà ce que je voulais te confier, avec autant de prolixité que de franchise, sur mon ambition et mes sentiments. »


Sans parler avec cette abondance et cet enchaînement, les plus distingués d’entre mes amis et mes connaissances me faisaient entendre d’aussi fortes et sérieuses pensées, dont l’effet se montrait dans une louable activité. C’était pour nous un article de foi, qu’il fallait se conquérir une noblesse personnelle et, s’il se manifestait dans ce beau temps quelque rivalité, c’était de haut en bas. Nous autres, en revanche, nous avions ce que nous pouvions désirer : l’usage libre et consenti des talents que nous avait donnés la nature, autant que cet usage pouvait s’accorder avec nos relations civiles. Car ma ville natale était dans une condition toute particulière et trop peu observée. Tandis que les villes libres du nord de l’Allemagne s’appuyaient sur un commerce étendu, et celles du midi sur les arts et l’industrie, au défaut du commerce, qui les désertait, on pouvait observer à Francfort-sur-le-Mein, une sorte d’état complexe, où se trouvaient entremêlés le commerce, la richesse mobilière, la possession foncière, le goût des sciences et des collections. La confession luthérienne avait le gouvernement ; l’ancien héritage de Gau, qui empruntait à la maison de Limbourg le nom de maison de Frauenstein, et qui, dans le principe, n’était qu’un club, fidèle aux idées sages au milieu des ébranlements amenés par les classes inférieures ; le juriste, l’homme aisé et bien pensant, personne n’était exclu des magistratures ; les artisans mêmes qui s’étaient montrés attachés à l’ordre dans les temps