Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On peut juger comment je passai ce soir-là et les jours suivants, et combien de fois je me répétai ces histoires, que je ne pouvais croire moi-même. Aussitôt que la chose me fut possible, je retournai au Mauvais mur pour me rafraîchir du moins la mémoire de ces signes et contempler l’admirable petite porte : mais, à ma grande surprise, je trouvai tout changé. Les noyers s’élevaient par-dessus le mur, mais ils n’étaient pas tout près les uns des autres ; une table était enchâssée dans le mur, mais bien loin à droite des arbres, sans ornements, et avec une inscription lisible ; une fontaine dans une niche se trouve bien loin à gauche, mais elle n’est nullement comparable à celle que j’avais vue, ce qui me ferait croire que la seconde aventure a été un songe comme la première, car, de la petite porte, il ne s’en trouve absolument aucune trace. La seule chose qui me console, c’est que ces trois objets me paraissent changer incessamment de place, car, dans les visites répétées que j’ai faites en ce lieu, j’ai cru remarquer que les noyers se rapprochent un peu les uns des autres, et j’ai fait la même observation sur la table et la fontaine. Vraisemblablement, quand tout sera revenu au même point, la porte sera aussi visible de nouveau, et je ferai mon possible pour renouer l’aventure. Pourrai-je vous conter ce qui arrivera encore, ou cela me sera-t-il expressément défendu ? c’est ce que je ne saurais vous dire.


Ce conte, dont mes camarades voulaient absolument se persuader la vérité, obtint un grand succès. Ils visitèrent chacun à part, sans me le dire non plus qu’aux autres, la place indiquée ; ils trouvèrent les noyers, la table et la fontaine, mais toujours éloignés les uns des autres, comme ils finirent par l’avouer, parce qu’à cet âge on n’aime pas à taire un secret. Mais c’est ici que la dispute commença. L’un soutenait que les objets ne bougeaient pas de place, et qu’ils restaient toujours entre eux à la même distance ; le second assurait qu’ils se remuaient, mais qu’ils s’éloignaient les uns des autres ; le troisième était d’accord avec celui-ci sur la question du mouvement ; mais les noyers, la table et la fontaine lui semblaient plutôt se rapprocher ; le quatrième prétendait avoir vu quelque chose de plus remarquable, c’est-à-dire les noyers au milieu, mais la table et la fontaine aux côtés opposés à ceux que j’avais indiqués. Au sujet des traces de la petite porte, ils variaient aussi, et, par cet exemple, j’apprenais de bonne heure que les hommes se font et peuvent soutenir les idées les plus contradictoires sur une chose toute simple et facile à vérifier. Comme je refusais obstinément de dire la suite de mon conte, cette première partie fut souvent redemandée. Je me gardai