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espérances ; je m’assis sur un banc, pour être tout à elle et à moi-même, dans le profond silence de la nuit, sous un ciel étoile, d’une splendeur éblouissante. Un bruit remarquable et difficile à expliquer se fit tout près de moi ; ce n’était pas un frôlement, ce n’était pas un murmure : en prêtant l’oreille avec plus d’attention, je découvris que c’était le travail souterrain de petits animaux, peut-être des hérissons ou des belettes, ou de quelque autre animal, ainsi occupé à ces heures. J’avais poursuivi mon chemin vers la ville, et j’étais arrivé à Rœderberg, où je reconnus, à leur blancheur calcaire, les degrés qui mènent aux vignes. Je montai, je m’assis et je m’endormis. À mon réveil, le jour commençait à poindre ; je voyais en face de moi le haut rempart bâti autrefois comme défense contre les hauteurs qui s’élèvent en deçà. Sachsenbourg s’étendait devant moi ; de légers brouillards indiquaient le cours de la rivière. Je sentais une agréable fraîcheur. Je restai là jusqu’au moment où le soleil, se levant peu à peu derrière moi, illumina le paysage en face. C’était la contrée où je devais revoir ma bien-aimée, et je retournai lentement dans ce paradis, au milieu duquel elle sommeillait encore.

Cependant mes occupations croissantes, que je cherchais à étendre et à dominer pour l’amour d’elle, devaient rendre plus rares mes visites à Offenbach, et me causer une certaine anxiété ; on sentait bien qu’en faveur de l’avenir on sacrifiait et l’on perdait le présent. Et comme je voyais s’ouvrir peu à peu devant moi des perspectives plus avantageuses, je les jugeai plus considérables qu’elles ne l’étaient réellement, et je songeai d’autant plus à une décision prochaine, qu’une liaison si publique ne se pouvait continuer plus longtemps sans malaise. Comme il arrive d’ordinaire en pareil cas, les deux amants ne se le disaient pas expressément l’un à l’autre, mais le sentiment d’un bonheur mutuel sans bornes, la pleine conviction qu’une séparation était impossible, la confiance égale que nous avions l’un en l’autre, tout cela produisit un effet si sérieux, que moi, qui avais pris la ferme résolution de fuir désormais toute longue chaîne, et qui me trouvais lié de celle-ci, sans assurance d’un heureux événement, j’étais saisi d’une véritable stupeur, et, pour m’en délivrer, je m’enfonçais toujours plus dans des af-