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nous la recommandons à nos successeurs, et nous leur souhaitons à tous de la dire et de la chanter avec autant de plaisir et de contentement que nous en ressentions alors dans notre petit cercle, qui était un monde pour nous et nous faisait oublier qu’il y en avait un plus grand.

On s’attend bien que le jour natal de Lili, qui revenait, le 23 juin, pour la dix-septième fois, devait être célébré avec une solennité particulière. Elle avait promis d’arriver à midi à Offenbach, et je dois dire que les amis s’étaient heureusement accordés pour écarter de cette fête tous les compliments traditionnels et s’étaient préparés à recevoir et à réjouir Lili avec des témoignages d’affection dignes d’elle. Occupé de ces agréables devoirs, je voyais se coucher le soleil, qui annonçait un beau lendemain et promettait à notre fête sa joyeuse et brillante présence, quand Georges, le frère de Lili, qui ne pouvait se contraindre, entra assez brusquement dans ma chambre et m’apprit sans ménagement que la fête du lendemain était troublée ; il ne savait lui-même ni pourquoi ni comment, mais sa sœur me faisait dire qu’il lui était tout à fait impossible de se trouver le lendemain pour midi à Offenbach et de prendre part à la fête préparée pour elle. Elle n’espérait pas de s’y trouver avant le soir. Elle savait, elle sentait parfaitement, combien la chose devait être désagréable pour moi et pour nos amis, mais elle me priait instamment d’imaginer quelque chose pour adoucir et même pour faire pardonner le fâcheux effet de cette nouvelle qu’elle nie chargeait d’annoncer. Elle m’en serait infiniment obligée. Je gardai un moment le silence, je me recueillis, et, comme par inspiration, j’avais trouvé ce qu’il fallait. Je m’écriai : « Va, Georges, va lui dire de se tranquilliser, de faire son possible pour arriver vers le soir : je promets que cette contrariété sera changée en fête. » Georges était curieux de savoir comment, mais je refusai obstinément de le satisfaire, quoiqu’il appelât à son secours tous les artifices et tout le pouvoir que se permet d’exercer sur nous le frère d’une amante.

À peine fut-il parti, que je me promenai de long en large dans ma chambre, singulièrement satisfait de moi-même, avec le joyeux et libre sentiment qu’une occasion m’était offerte de me montrer d’une manière brillante comme serviteur de Lili ; je