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la table de jeu ? Est-ce bien moi que tu fais asseoir en face de visages souvent insupportables ?

« Viens ! la fleur du printemps n’est pas pour moi plus ravissante dans les campagnes. Où tu es, mon ange, est l’amour, la bonté ; où tu es, la nature[1]. »

Qu’on lise ces poésies avec attention, ou plutôt qu’on se les chante avec le cœur, et l’on sentira certainement passer un souffle de ces heures fortunées. Mais nous ne quitterons pas à la précipitée cette grande et brillante société, sans ajouter quelques observations, surtout pour expliquer la fin de la seconde pièce. Celle que j’étais accoutumée à voir en un simple négligé, qu’elle variait rarement, m’apparaissait ensuite brillante et parée à la mode, avec élégance, et pourtant c’était toujours elle : sa grâce, son affabilité, étaient les mêmes ; je dirais seulement qu’elle se montrait plus attirante ; peut-être parce qu’elle était là en présence d’une société nombreuse, qu’elle se trouvait engagée à se produire plus vivement, à se diversifier selon les personnes qui se présentaient à elle. Pour tout dire, je ne pouvais me dissimuler que ces étrangers m’importunaient, mais que je n’aurais pas voulu pour beaucoup être privé du plaisir d’apprendre à connaître ses mérites de société, et de voir qu’elle serait à sa place dans une position plus large et plus étendue.

C’était ce même sein, maintenant voilé par la toilette, qui m’avait révélé ses mystères, et dans lequel je voyais aussi clair que dans le mien ; c’étaient ces mêmes lèvres qui m’avaient fait sitôt le récit de sa vie pendant ses premières années. Chaque regard échangé, chaque sourire qui l’accompagnait, exprimaient une noble et secrète intelligence, et, dans le monde, je m’étonnais de l’innocent et mystérieux accord qui s’était formé entre nous, de la manière la plus simple et la plus naturelle.

Toutefois, à l’arrivée du printemps, une décente liberté champêtre devait resserrer encore cette liaison. Offenbach sur le Mein montrait dès lors les premières constructions d’une ville qui promettait de se former dans la suite. Des maisons, belles et magnifiques pour le temps, s’étaient déjà élevées. L’oncle Ber-

  1. Voyez Poésies diverses, tome I, page 28.