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LIVRE XVII

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Au moment où je reprends le récit de ma liaison avec Lili, je dois me souvenir que j’ai passé avec elle les heures les plus agréables, soit en tête-à-tête, soit en présence de sa mère. On m’attribuait, d’après mes écrits, la connaissance du cœur humain, comme on disait alors, et, sous ce rapport, nos entretiens étaient, de toute manière, moralement intéressants. Mais comment s’entretenir de l’état du cœur sans s’ouvrir l’un à l’autre ? Avant qu’il fût longtemps, Lili, dans une heure tranquille, me conta l’histoire de ses premières années. Elle avait grandi dans la jouissance de tous les avantages de la société et des plaisirs du monde. Elle me dépeignit ses frères, ses proches, ainsi que sa vie intime. Sa mère seule demeura dans une respectable obscurité. Elle fit aussi mention de ses petites faiblesses, et, par exemple, elle ne put dissimuler qu’elle avait dû remarquer en elle un certain don d’attirer, joint à une certaine disposition à ne pas retenir. Par là, nous fûmes amenés, de parole en parole, à ce point délicat, qu’elle avait aussi exercé ce don sur moi, mais qu’elle en avait été punie, en ce que je l’avais attirée à mon tour. Ces aveux partaient d’une âme si naïve et si pure, qu’ils m’attachèrent à elle par les liens les plus étroits. Ce fut bientôt un besoin mutuel, une habitude, de se voir ; mais combien de jours, combien de soirées aurais-je dû passer sans elle, si je n’avais pu me résoudre à la voir dans ses assemblées ! Il en résulta pour moi plus d’un tourment.

Ma liaison avec elle était de personne à personne ; j’aimais une jeune fille belle, aimable et instruite. Cette liaison était comme les premières, et d’une nature encore plus relevée. Cependant je n’avais point songé aux circonstances extérieures, à l’union réciproque des deux familles. Un désir irrésistible était devenu le maître. Je ne pouvais vivre sans elle, ni elle sans moi ; mais, dans ses entours et grâce à tel ou tel membre de la so-