Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/592

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces personnes attachent une grande importance à leur carrière pratique ; on regarde tout comme détermination surnaturelle, avec la conviction que Dieu agit directement. D’ailleurs, il y a chez l’homme un certain penchant à persister dans son état, mais aussi à se laisser pousser et conduire, et une certaine hésitation à agir soi-même. Elle s’accroît par la ruine des plans les plus sages, tout comme par la réussite accidentelle d’un heureux concours de circonstances imprévues. Et comme un pareil genre de vie est un obstacle a une conduite mâle et attentive, la manière de tomber dans un semblable état mérite également d’être observée et considérée.

L’objet dont ces adeptes s’entretiennent de préférence, est ce qu’on nomme réveils, conversions, auxquels nous ne contestons pas leur valeur, psychologique. C’est proprement ce que nous appelons, en matière de science et de poésie, des aperçus, la reconnaissance d’une grande maxime, ce qui est toujours une opération spontanée de l’esprit ; on y arrive par la contemplation, et non par la méditation, l’enseignement ou la tradition. Ici, c’est la reconnaissance de la force morale, qui s’appuie sur l’ancre de la foi, et se sentira dans une orgueilleuse sûreté au milieu des flots. Un pareil aperçu donne à celui qui le découvre la plus grande joie, parce qu’il porte, d’une manière originelle, la pensée vers l’infini ; il n’est besoin d’aucun laps de temps pour opérer la conviction ; elle naît entière et parfaite en un moment ; de là le bon vieux proverbe français : « En peu d’heures Dieu labeure. » Des impulsions extérieures déterminent souvent l’explosion soudaine d’une pareille conversion ; on croit voir des signes et des miracles.

La confiance et l’amitié m’unissaient de la manière la plus cordiale avec Stilling ; au reste, j’avais eu aussi sur sa carrière une heureuse et bonne influence, et il était fait pour garder un délicat et reconnaissant souvenir de tout ce qu’on faisait pour lui : mais, dans la direction que j’avais prise alors, son commerce ne m’était ni agréable ni avantageux. À la vérité, je laissais volontiers chacun arranger et régler l’énigme de sa vie ; mais attribuer à une intervention divine, immédiate, tout ce qui nous arrive raisonnablement d’heureux me semblait une prétention excessive, et l’idée que toute précipitation, toute né-