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à un petit concert qu’on donnait chez un notable négociant calviniste. Il était déjà tard ; mais, comme j’aimais tout ce qui était improvisé, je le suivis, me trouvant, comme d’ordinaire, en costume présentable. Nous entrâmes dans une pièce au rez-dechaussée. C’était un vaste salon. Nous y trouvâmes nombreuse compagnie. Un clavecin était au milieu. La fille unique de la maison s’y plaça aussitôt, et joua avec une habileté et une grâce remarquables. Je m’étais placé au petit bout du clavecin, afin de pouvoir observer d’assez près son air et sa tournure. Elle avait dans ses manières quelque chose d’enfantin ; les mouvements auxquels le jeu l’obligeait étaient aisés et faciles. La sonate finie, elle passa devant moi au bout du piano. Nous nous saluâmes sans mot dire, parce qu’un quatuor venait de commencer. Quand il fut achevé, je m’approchai d’elle ef lui adressai quelques mots de politesse, et lui dis combien je me félicitais d’apprendre à connaître à la fois sa personne et son talent. Elle me répondit avec beaucoup de grâce, resta à sa place et moi à la mienne. Je pus remarquer qu’elle m’observait avec attention, et que j’étais là tout à fait en spectacle, ce que je pouvais souffrir doucement, puisqu’on me donnait aussi quelque chose de fort agréable à contempler. Cependant nos regards se rencontrèrent, et je ne nierai pas que je crus sentir une force d’attraction de la plus douce nature. Le mouvement de la société et les devoirs qui occupèrent la jeune fille empêchèrent ce soir-là tout autre rapprochement ; mais j’éprouvai, je l’avoue, un sentiment agréable, quand la mère, au moment où je prenais congé, me donna à entendre qu’elles espéraient me revoir bientôt, et quand la fille parut se joindre, avec quelque obligeance, à cette invitation. Je ne manquai pas, après un délai convenable, de renouveler ma visite, et nous engageâmes une conversation gaie et raisonnable, qui ne présageait aucune liaison passionnée.

Cependant les habitudes d’hospitalité que notre maison avait contractées attiraient à mes bons parents et à moi-même quelques ennuis. Dans ma tendance, qui visait toujours à découvrir ce qu’il y a de plus élevé, a le reconnaître, à le favoriser, et, s’il était possible, à le figurer par l’imitation, je ne gagnais rien à cet état de choses. Si les hommes étaient bons,