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ment divines, que la divinité elle-même n’y pourrait changer rien. Sur ce point tous les hommes sont parfaitement d’accord sans le savoir. Qu’on réfléchisse à l’étonnement et même à l’effroi que produit un phénomène naturel qui annonce de l’intelligence, de la raison ou seulement de la volonté ! S’il se manifeste chez des animaux quelque chose qui ressemble à la raison, nous ne pouvons revenir de notre surprise ; en effet, si près qu’ils soient de nous, ils nous semblent en être séparés par un abîme, et relégués dans le domaine de la nécessité. On ne peut donc blâmer les penseurs qui déclaraient purement machinale la technique infiniment ingénieuse, mais pourtant exactement limitée, de ces créatures. Si nous passons aux plantes, notre assertion est confirmée d’une manière encore plus éclatante. Rendons-nous compte de la sensation qui nous saisit, quand la sensitive, touchée, replie deux à deux ses feuilles pennées, et abaisse enfin le pétiolule comme au moyen d’une charnière. Elle est plus vive encore, la sensation inqualifiable qu’on éprouve en observant l’hedysarum gyrans, qui, sans cause extérieure visible, élève et abaisse ses folioles, et semble jouer avec lui-même comme avec nos pensées. Qu’on se figure un bananier qui aurait reçu cette propriété, de sorte que, par lui-même, il abaisserait et relèverait tour à tour ses vastes éventails : quiconque verrait la chose pour la première fois reculerait de frayeur. L’idée de nos propres avantages est tellement enracinée chez nous que nous ne voulons absolument en accorder au monde extérieur aucune part et que, si cela pouvait se faire, nous les refuserions même à nos semblables. La même frayeur nous saisit, quand nous voyons l’homme agir d’une manière déraisonnable, contre les lois morales généralement reconnues, d’une manière inintelligente, contre ses intérêts ou contre ceux d’autrui. Pour nous délivrer de l’horreur que ce spectacle nous cause, nous la transformons aussitôt en blâme, en abomination, et nous cherchons à repousser loin de nous la présence ou l’idée d’un tel homme.

Ce contraste que Spinoza fait ressortir avec tant d’énergie, je l’appliquai d’une façon très-singulière à mon individualité, et ce qui précède ne doit proprement servir qu’à rendre intelligible ce qui me reste à dire. J’étais parvenu à regarder comme