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ralité inconsidérée et le goût à répondre pour autrui. Le voyage d’Italie, dès longtemps projeté, et que mon père mettait de nouveau en avant, parut donc à mère le plus sûr moyen de couper court à toutes ces relations. Mais, de peur des nouveaux dangers que je pouvais courir dans le monde, elle songeait à confirmer l’union déjà préparée, afin de me rendre plus désirable le retour dans la patrie et de décider mon établissement définitif. Si je lui attribue sans fondement ce dessein, ou si elle l’avait réellement formé, peut-être avec notre défunte amie, c’est ce que je ne saurais décider ; quoi qu’il en soit, sa conduite paraissait calculée pour un dessein médité. On me faisait quelquefois entendre que, depuis le mariage de Cornélie, notre cercle de famille était trop réduit ; on trouvait qu’il me manquait une sœur, à ma mère une aide, à mon père une élève, et l’on ne s’en tint pas à ces propos. Il arriva, comme par hasard, que mes parents rencontrèrent la jeune fille à la promenade, l’invitèrent à entrer dans le jardin et s’entretinrent longtemps avec elle. On en plaisanta, le soir, à souper, et l’on remarqua avec une certaine satisfaction qu’elle avait plu à mon père, parce qu’elle possédait toutes les qualités principales qu’en véritable connaisseur il voulait trouver chez une femme.

Là-dessus, on fit au premier étage divers préparatifs, comme si on avait attendu des hôtes ; on passa le linge en revue ; on s’occupa de quelques meubles, jusqu’alors négligés. Je surpris un jour ma mère occupée à considérer dans un galetas les vieux berceaux, parmi lesquels j’en remarquai surtout un grand de noyer, incrusté d’ivoire et d’ébène, qui m’avait bercé jadis. Elle ne parut pas fort contente, quand je lui fis observer que ces coffres-balançoires étaient tout à fait passés de mode, et que les enfants, sans gêne de leurs membres, couchés dans une petite corbeille qu’on s’attachait au cou avec un ruban, étaient portés en montre comme d’autres menues marchandises. Ces avant-coureurs de l’établissement d’un nouveau ménage se produisaient souvent, et, comme je laissais tout faire sans opposition, la pensée d’une situation qui devrait durer toute la vie répandit dans notre maison une paix que nous n’avions pas goûtée depuis longtemps.