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tock paraissait se conduire, comme personnage considérable et comme représentant d’êtres supérieurs, la religion, la morale et la liberté. Il avait aussi adopté une autre particularité des gens du monde, savoir de peu parler des choses sur lesquelles on aurait justement espéré et souhaité un entretien. On l’entendait rarement discourir sur des sujets de poésie et de littérature ; mais, comme il nous trouva, mes amis et moi, de zélés patineurs, il s’entretint longuement avec nous de ce noble exercice, qu’il avait étudié à fond, se rendant compte de ce qu’il fallait rechercher et éviter. Toutefois, avant qu’il nous fût permis de recevoir ses bienveillantes leçons, nous dûmes souffrir qu’il nous redressât sur l’expression même, que nous employions mal à propos ; nous parlions en effet en bon haut-allemand de Schlittschuhen (souliers-traîneaux), et il ne voulait absolument pas admettre ce mot ; car l’expression ne venait point de Schlitt, comme si l’on cheminait sur de petites barres de traîneaux, mais de schreiten (marcher), parce que, à la manière des dieux d’Homère, on marchait avec ces semelles ailées sur la mer devenue solide. Il en venait ensuite à l’instrument lui-même ; il ne voulait pas entendre parler de patins élevés et cannelés ; il recommandait les lames basses, larges, unies, usitées dans la Frise, comme celles qui étaient les meilleures pour la course rapide. Il n’aimait pas les tours d’adresse qu’on a coutume d’exécuter dans cet exercice. Par ses conseils, je me procurai une paire de ces souliers plats à longues poulaines, et je m’en suis servi, mais avec quelque difficulté, pendant nombre d’années. Il nous parla aussi en connaisseur et très-volontiers d’équitation et même de l’art de dresser les chevaux ; évitant d’ordinaire et à dessein, semblait-il, de discourir sur son propre métier, pour causer familièrement des arts étrangers qu’il cultivait en amateur. Je pourrais rapporter encore d’autres singularités de cet homme extraordinaire, mais des personnes qui ont vécu plus longtemps avec lui nous en ont déjà suffisamment instruits. Je ferai seulement remarquer que les hommes auxquels la nature a dispensé des dons extraordinaires, et qui se trouvent placés dans une sphère étroite ou du moins sans proportion avec leur génie, descendent souvent à des singularités, et, ne pouvant faire aucun usage direct de leurs talents, essayent de tas faire valoir par des moyens extraordinaires et singuliers.

Zimmermann fut aussi quelque temps notre hôte. C’était un homme de haute et forte taille. Naturellement violent et sans gêne, il savait ai bien se posséder pour l’extérieur et les manières, qu’il paraissait dans le monde un médecin insinuant et poli, et il ne lâchait la bride à son caractère indomptable que dans ses écrits et dans l’intimité. Sa conversation était variée et infiniment instructive ; et, si l’on pouvait lui pardonner de sentir très-vivement sa personnalité, ses mérites, on ne pouvait trouver une société plus désirable. Et comme ce qu’on appelle vanité ne me blessait jamais ; que je me permettais au contraire à moi-même d’être vain, c’est-à-dire de laisser voir sans hésiter ce qui me satisfaisait en moi, je m’accordais fort bien avec lui ; nous nous passions notre humeur l’un à l’autre ; il se montrait tout à fait ouvert et communicatif, si bien que j’appris en peu de temps beaucoup de choses de lui.

Mais, si je porte sur un tel homme un jugement bienveillant, recon-