Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leste, qui partait de l’édifice. Je croyais entendre tour à tour un luth, une harpe, une-guitare et un autre carillon qui ne ressemblait à aucun de ces trois instruments.

La porte où nous arrivâmes, légèrement touchée par le vieillard, ne tarda pas à s’ouvrir, et combien je fus étonné, quand je trouvai la portière qui en sortit, parfaitement semblable à la jolie fillette que j’avais vue eu songe danser au bout de mes doigts ! Elle me salua d’un air de connaissance et me pria d’entrer. Le vieillard resta a la porte et je me rendis avec la belle, par un court passage voûté, élégamment décoré, dans la salle du milieu, dont le magnifique plafond en coupole fixa mon regard dès l’entrée et provoqua mon admiration. Cependant mes yeux ne s’y arrêtèrent pas longtemps, car ils s’abaissèrent, attirés par un spectacle plus ravissant. Sur un tapis, justement au-dessous de la coupole, étaient assises, en triangle, trois dames, vêtues de trois couleurs différentes, rouge, jaune et vert. Les sièges étaient dorés, elle tapis était un vrai parterre de fleurs. Dans leurs mains reposaient les trois instruments que j’avais pu distinguer du dehors, car, troublées par ma venue, elles avaient cessé leur jeu. « Soyez le bienvenu, me dit celle du milieu, je veux dire celle qui était assise en face de la porte, en robe rouge, et jouant de la harpe. Asseyez-vous auprès d’Alerte, et prêtez l’oreille, si vous aimez la musique. » Alors enfin j’aperçus au fond de la salle, en travers, une banquette assez longue, sur laquelle se trouvait une mandoline. La gentille fillette s’en saisit, prit place et me fil asseoir à son côté. À ce moment, j’observai la deuxième dame, placée à ma droite : c’est elle qui portait la robe jaune et qui tenait la guitare ; et, si la joueuse du harpe était d’une taille imposante, si ses traits étaient nobles et son maintien majestueux, on pouvait remarquer chez la joueuse de guitare une gaieté, une grâce légère ; c’était une blonde délicate, tandis que la première était parée de beaux cheveux noirs. La variété et l’harmonie de leur musique ne put m’empêcher d’observer aussi la troisième beauté à la robe verte, dont le luth avait pour moi quelque chose de touchant et d’étrange à la fois. C’était celle qui semblait le plus s’occuper de moi et m’adresser ses accents : seulement je ne savais que penser d’elle, car elle me paraissait tour à tour tendre et singulière, franche et capricieuse, selon qu’elle variait ses mines et son jeu ; il semblait qu’elle voulût tantôt m’attendrir, tantôt me lutiner. Mais, quoi qu’elle pût faire, elle prit sur moi peu d’empire, parce que ma petite voisine, avec qui j’étais assis côte à côte, m’avait entièrement captivé ; et, si je voyais clairement dans ces trois dames les sylphides de mon rêve et les couleurs des pommes, je comprenais bien que je n’avais aucune raison de les retenir. Je me serais plus volontiers emparé de la gentille petite, si le coup qu’elle m’avait appliqué en songe ne m’était pas resté si bien dans la mémoire. Jusque-là elle avait laissé dormir sa mandoline, mais, lorsque ses maîtresses eurent cessé, elles l’invitèrent à nous régaler de joyeux petits morceaux. À peine eut-elle gratté quelques danses avec beaucoup de verve, qu’elle se leva soudain ; j’en fis autant ; elle jouait et dansait. Je fus entraîné à suivre ses pas, et nous exécutâmes une sorte de petit ballet, dont les dames parurent satisfaites ; car, aussitôt que nous eûmes fini, elles or-