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large, et lisais à haute voix cet opuscule, j’entendis distinctement, aux saillies et aux tournures, la voix de Wagner, et c’était lui en effet. Je courus chez ma mère pour lui faire part de ma découverte : elle m’avoua qu’elle en était déjà informée. L’auteur, alarmé du fâcheux effet d’un dessein qu’il avait cru bon et louable, s’était ouvert à elle et lui avait demandé son entremise, pour me détourner d’accomplir contre lui la menace que j’avais proférée de n’avoir plus aucun commerce avec l’auteur qui avait abusé de ma confiance. Ce fut une circonstance heureuse pour lui, que j’eusse démêlé moi-même le secret, et que la satisfaction qui accompagne toute découverte personnelle me disposât au pardon. J’excusai la faute qui avait donné lieu à cette preuve de ma perspicacité. Cependant le public ne voulut pas croire aussi aisément que Wagner fût l’auteur, et que je n’eusse pas mis la main à l’œuvre. On ne lui accordait pas cette diversité parce qu’on ne songeait pas que, sans avoir un talent distingué, il avait pu recueillir, observer et exposer, dans sa manière connue, tous les badinages, tous les raisonnements, auxquels s’était livrée depuis longtemps une société spirituelle. Et c’est ainsi que j’eus à expier, cette fois, et très-souvent dans la suite, outre mes propres folies, la légèreté et la précipitation de mes amis.


Le concours de plusieurs circonstances réveille mes souvenirs, et me conduit à parler encore de quelques hommes célèbres, qui, ayant passé dans noire ville à diverses époques, logèrent chez nous ou s’assirent à notre table hospitalière. Il est juste de nommer d’abord Klopstock. J’avais déjà échangé avec lui plusieurs lettres, quand il m’annonça qu’il était invité à Carlsruhe et qu’on le pressait de s’y établir. Il serait tel jour à Friedberg, et il désirait que j’allasse l’y chercher. Je ne manquai pas de m’y trouver à l’heure fixée, mais un hasard l’avait arrêté en voyage, et, après l’avoir attendu inutilement plusieurs jours, je retournai chez nous, où il arriva seulement quelque temps après, s’excusa de son retard et me sut très-bon gré de mon empressement à aller au-devant de lui. Il était de petite stature, mais bien fait ; ses manières étaient graves et réservées sans roideur ; sa conversation était précise et agréable. Il y avait dans toute sa tenue quelque chose du diplomate. Un homme de ce caractère s’impose la tâche difficile de soutenir à la fois sa propre dignité et la dignité d’un supérieur, à qui il doit rendre compte ; de soigner en même temps ses propres intérêts et ceux, bien plus importants, d’un prince et même d’États entiers : et, dans celle situation délicate, de se rendre avant tout agréable aux hommes. C’est aussi de la sorte que Klops-