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autre obstacle s’opposait encore à mes libres confidences : mon père, au lieu de voir avec plaisir l’heureuse issue de ma petite aventure, persistait dans son sentiment, à l’entendre, tout cela n’était que dissimulation, et l’on me réservait peut-être dans la suite quelque chose de pire.

Je fus donc réduit à m’ouvrir de toutes ces choses à mes jeunes amis, auxquels je ne pouvais, il est vrai, les conter avec assez de détails : mais leur affection et leur bonne volonté eurent encore ici pour moi une conséquence très-désagréable, car il parut quelque temps après, toujours dans la forme dramatique, un pamphlet intitulé Brométhée, Deucalion et ses critiques. Les espiègles, au lieu de nommer les personnages dans le dialogue, s’étaient avisés de les représenter par de petites gravures sur bois, et de désigner par toute sorte d’images satiriques, les critiques qui s’étaient prononcés publiquement sur mes ouvrages et sur ce qui y avait rapport. Le postillon d’Altona, représenté sans tête, sonnait du cor ; ici grognait un ours, là claironnait une oie ; le Mercure n’était pas oublié, et maint animal, apprivoisé ou sauvage, cherchait à troubler le sculpteur dans son atelier, mais lui, sans y faire trop d’attention, il poursuivait son travail diligemment, non sans en faire connaître la conception générale. Je fus très-étonné de cette plaisanterie inattendue, parce que le ton et le style annonçaient quelqu’un de notre société ; on aurait même pu croire que cette petite composition était mon ouvrage. Mais ce qui me fut le plus désagréable, c’est que Prométhée disait certaines choses qui se rapportaient au séjour de Mayence, aux discours qu’on y avait tenus et à des particularités que je pouvais seul connaître. Cela me prouvait que l’auteur était de ma société intime, et qu’il m’avait entendu raconter en détail toute mon aventure. Nous nous regardions les uns les autres, et chacun soupçonnait ses amis. L’auteur inconnu sut parfaitement dissimuler. J’invectivais contre lui, parce qu’il m’était extrêmement pénible, après un accueil si favorable et des conversations si intéressantes, après ma lettre amicale à Wieland, de trouver là d’autres sujets de méfiance et des désagréments tout nouveaux. Cependant mon incertitude ne fut pas de longue durée : en effet, comme je me promenais dans ma chambre en long et en