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cet espace ombragé était proprement un grand cercle, qui en renfermait un autre beaucoup plus remarquable.

Nous étions en effet revenus à la petite porte, et il semblait que le vieillard voulût me laisser sortir ; cependant mes yeux étaient fixés sur un grillage d’or qui paraissait enclore le milieu de ce merveilleux jardin, et que j’avais trouvé l’occasion d’observer suffisamment pendant notre promenade, quoique le vieillard sut toujours me tenir auprès du mur, et, par conséquent, assez éloigné du centre. Comme il s’avançait vers la petite porte, je lui dis, avec une révérence : « Vous m’avez montré une si grande complaisance, que j’oserai vous faire encore-une prière avant de vous quitter. Ne pourrais-je voir de plus près celle grille dorée, qui semble enfermer dans un vaste cercle l’intérieur du jardin ? — Fort bien ! répliqua-t-il, mais il faut vous soumettre à quelques conditions. — En quoi consistent-elles ? demandai-je vivement. — Vous devez laisser ici votre chapeau et votre épée, et vous me donnerez la main aussi longtemps que je vous accompagnerai. — Très-volontiers, » lui dis-je, et je posai mon chapeau et mon épée sur le premier banc de pierre que je trouvai.

Aussitôt il prit ma main gauche, la tint ferme et m’entraîna droit en avant avec quelque violence. Quand nous arrivâmes à la grille, ma surprise se changea en admiration. Je n’avais jamais rien vu de pareil. Sur un grand socle de marbre se dressaient, à la file, d’innombrables lances et pertuisanes, aux ornements bizarres, et formant un cercle entier. Je regardai par les intervalles, et je vis, tout près, derrière la grille, une eau paisible, coulant dans un canal bordé de marbre, et, dans ses flots limpides, une multitude de poissons d’or et d’argent, qui nageaient çà et là, tantôt vite, tantôt lentement, tantôt seuls, tantôt à la file. J’aurais volontiers porté mes regards au delà du canal, pour découvrir ce qu’il y avait au cœur du jardin ; mais je reconnus, à mon vif regret, que, du côté opposé, l’eau était entourée d’un grillage pareil, et fabriqué avec tant d’art qu’à un intervalle de la première répondait une pique ou une pertuisane de la seconde, et que, les autres ornements y compris, on ne pouvait voir à travers, de quelque manière qu’on se plaçât. De plus le vieillard me gênait, en me tenant toujours ferme, en sorte que je ne pouvais me mouvoir librement. Cependant, après tout ce que j’avais vu, ma curiosité croissait toujours davantage, et je pris le courage de demander au vieillard si l’on ne pouvait aussi pénétrer de l’autre côté : « Pourquoi pas ? reprit-il, mais c’est à de nouvelles conditions. » Je demandai en quoi elles consistaient, et il m’apprit que je devais changer de vêtements. J’y consentis très-volontiers. Il me ramena vers la muraille et me fit entrer dans une petite salle très-propre, aux murs de laquelle étaient suspendus divers habillements, qui semblaient tous se rapprocher du costume oriental. J’eus bientôt changé d’habits. Mon guide releva mes cheveux poudrés sous un filet bariolé, après on avoir, à mon grand effroi, secoué vivement la poudre. Alors, m’étant regardé dans une glace, je me trouvai tout à fait joli sous mon déguisement et bien plus à mon gré que dans mon roide habillement des dimanches. Je fis quelques gestes et quelques sauts, comme j’avais vu faire aux danseurs sur le