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la queue vaporeuse de ces deux grandes comètes ; on s’occupa aussi particulièrement de moi, pour me témoigner mille bontés, et l’on parut désirer d’être payé de retour. J’étais las de mes folies et de mes témérités passées, sous lesquelles, à vrai dire, je ne cachais que mon mécontentement d’avoir trouvé, pour mon cœur, pour mon âme, si peu d’aliments dans ce voyage. Mes sentiments éclatèrent avec violence, et c’est peut-être pourquoi je me rappelle peu les détails des événements. Ce qu’on a pensé, les images des choses qu’on a vues, se retrouvent dans l’esprit et dans l’imagination ; mais le cœur est moins complaisant : il ne nous reproduit jamais les belles impressions, et nous sommes surtout incapables de faire revivre en nous les moments d’enthousiasme : on en est surpris à l’improviste et l’on s’y abandonne à son insu. Ceux qui nous observent dans de pareils moments en ont une idée plus nette et plus claire que nous-mêmes.

J’avais jusqu’alors esquivé doucement les entretiens religieux, et répondu rarement et avec réserve à des questions sages, parce qu’elles me semblaient trop bornées en comparaison de l’objet que je cherchais. Si les gens voulaient m’imposer leurs sentiments et leur opinion sur mes propres ouvrages, surtout si l’on me tourmentait avec les exigences de la raison vulgaire, et si l’on me présentait très-positivement ce que j’aurais dû faire et ne pas faire, la patience m’échappait, et la conversation était rompue ou elle s’éparpillait, en sorte que personne ne pouvait emporter de moi une opinion bien favorable. Il eût été bien plus dans ma nature de me montrer affectueux et délicat, mais mon cœur ne voulait pas être régenté ; il voulait s’ouvrir par l’effet d’une libre bienveillance, être invité a la résignation par une véritable sympathie. En revanche, un sentiment qui prenait chez moi une grande force, et qui ne pouvait se manifester d’une manière assez étrange, c’était le sentiment du présent et du passé confondus en une idée unique, contemplation qui communiquait au présent quelque chose de fantastique : elle est exprimée dans plusieurs de mes grands et de mes petits ouvrages, et l’effet en est toujours favorable en poésie, quoique, dans l’instant même où elle s’exprimait directement sur la vie et dans la vie, elle dût paraître à chacun bizarre, inexplicable, et désagréable peut-être.